Il poursuivait la lumière, comme d'autres à cette époque. Matisse était bien du côté de Collioure. Picasso avait fait ses gammes à Horta. Raoul Dufy poursuivait la lumière, toujours à l'affût. Il naît dans la lumière du Havre, gardera toujours les souvenirs du port et des passants le long de la promenade, et les cargos noirs pourfendant l'horizon qu'il n'a eu de cesse d'observer, ces cargos noirs qu'il a peints sans relâche. Il ne pouvait faire autrement.
Il fera de Perpignan, de Paris, de la Provence son atelier, fenêtres ouvertes sur le paysage: temple où attendre le surgissement de la couleur, à la manière des augures antiques. Saisir toute sorte de lumière, de l'anti-lumière des cargos du Havre à l'incandescence de la Baie des Anges. Je me souviens d'un sable noir, presque volcanique, dans une petite scène de tauromachie exposée au Musée Fabre, non loin des outrenoirs de Soulages. Coïncidence, n'est-ce pas? Je me souviens d'un grand soleil à l'Estaque, de cette lumière si blanche qu'elle finit par tout dissimuler.
Il court après elle: la couleur.
Roland Dorgeles écrit en 1953: "C'est là que j'ai surpris le secret de Dufy. Il ne travaillait pas, il s'amusait. Il chassait les couleurs comme d'autres chassent les papillons."
Les couleurs du Midi comme celles de l'électricité qui lui inspirera l'une de ses plus grandes œuvres en 1937 à l'occasion de l'Exposition internationale: une fresque immense qui nous enveloppe et nous submerge de nuances et de lueurs, de celles qui clignotent, crépitent, explosent, jaillissent, déclinent, fuient et tremblent: La Fée Electricité. Une vague dont l'écume se propage en faisceaux.
Les couleurs d'un théâtre le soir d'une première aux nuances infinies de Paris la nuit, comme dans cet extraordinaire paravent réalisé en 1930, où la ville nous apparaît d'un seul bloc, réduisant les perspectives, déformant les détails, pour ne laisser ruisseler en torrent rien d'autre que cette nuit illuminée.
Le critique d'art Pierre Courthion décrit l'objet: "De près, vous voyez une accumulation de petits signes, semblables aux points d'un ouvrage, pressés ici, écartés là, et qui donnent à toute chose son mouvement propre et son unicité. Mais reculez de deux pas! Tout prend place alors, tout s'ordonne, et les maisons, et les toits, les coupoles, les monuments, la Seine -bleus encore, bleus toujours- apparaissent coupés de quais, d'arbres qui tremblent au souffle. Et c'est Paris, grand bouquet, fleur du monde."
Raoul Dufy, peintre, certes. Dessinateur, graveur, illustrateur, céramiste, oui. Créateur de tissus, de tapisseries et de mobiliers, décorateur d'intérieur, d'espaces publics et de théâtre, en effet. Un dilettante, toutefois, qui a su pactiser un jour avec la lumière. Un travailleur léger, un forçat frivole. Jamais au repos. Qui chasse les couleurs comme d'autres les papillons.
Propositions d'expositions:
Musée d'art moderne de Paris, fresque "La Fée Electricité"
Musée de Montmartre, exposition "Le Paris de Dufy"