samedi 30 juillet 2022

La cabane au centre du monde

 Des galéjades, des légendes, des plaisanteries, Manitas de Plata parfois cherchait le Duende, Brassens, venu tout droit de Sète écoutait, y allait de sa meilleure répartie, la brasucade imprégnait l'air. Devant tout ce petit monde: le Mont Saint-Clair se reflétant dans l'étang de Thau.



On s'échange le mot comme un secret. Ce secret sans doute se nomme l'amitié, de celles qui sont indéfectibles, quelles que soient les épreuves, quel que soit le temps qui passe. La cabane de Laurent Spinosi, surnommé Lolo, est un petit microcosme coincé entre les étangs du Languedoc. Ermitage surréaliste qui vaudra les ébahissements de Dali. On y entre par le toit, l'intérieur est un bric-à-brac, de vieilles choses pour ainsi dire, plus de souvenirs que si nous avions mille ans. Des culottes au plafond, des dizaines de soutien-gorge suspendus, des coquillages, des prises de pêche, des bibelots du monde entier, et des vestiges des fonds marins laissés là, abandonnés et glorieux.

Brigitte Bardot négligera quelquefois Saint-Tropez pour la cabane de Lolo. L'étang de Thau concurrencera un temps les meilleurs repères du tout-Saint-Germain.



Mais souvent seul, heureusement, le cabanaïre tente sur ses toiles de reproduire le foisonnement de l'étang, sa lumière, son obscurité, incomparable mosaïque qui occupe une vie entière. Baraque après baraque, gravitant autour de la montagne, au gré de déménagements. Comme un cadran solaire, à la recherche de l'ombre. Ou dans une quête sans fin de la meilleure lumière.

Puis, les soirs, entre Balaruc, Mèze et les cabanons de Bouzigues évoquant les trabucco des Pouilles, l'ermite devait rêver de cette ville, dit-on, engloutie sous les eaux de Thau. Avant la visite de ses plus chers amis qui lui fera réviser l'ordre de ses priorités.

Chaque chose en son temps. Les copains d'abord, en effet.




dimanche 10 juillet 2022

Molière baroque

 Le Bourgeois Gentilhomme, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, juin 2022. Comédie Française

Quatre cents ans que notre langue est celle de Molière. Quatre cents ans. Et pourtant on eût dit que cela datait d'hier à entendre la salle rire aux éclats à chaque jeu de mot, à chaque trait de caractère, situation après situation. Pas une seule ride. Tous les âges y succombent, à ce rire total, hyperbolique, rabelaisien, toutes les générations mais aussi toutes les classes sociales. Un rire-monde pour ainsi dire, célébré cette année à la Comédie Française qui reprend la mise en scène du Bourgeois Gentilhomme de Valérie Lesort et Christian Hecq, créée en juin 2021, dans laquelle on retrouve toute la fantaisie, la folie et la poésie qui font leur succès depuis des années. Monsieur Jourdain s'y trouve, par la présence prodigieuse de Christian Hecq génial de bout en bout, dynamité, survolté, ahuri et ahurissant à chaque instant ; son jeu d'acteur rend visible la moindre facette du personnage, son ignorance crasse, sa fatuité, sa vanité, mais surtout son humanité.

Créée en 1670 au Château de Chambord devant la Cour de Louis XIV, avec une partition de Jean-Baptiste Lully qui lui offrira assurément l'éternité, la comédie-ballet étripe cette petite bourgeoisie qui meurt de ne pas être de la noblesse : grenouille aspirant à la grandeur du bœuf. La Fontaine et la Bruyère aussi y seront allés de leurs mots à ce sujet. Monsieur Jourdain apprend la danse comme les nobles, la musique aussi, et la philosophie évidemment, comme un homme de qualité ; il s'essaie par ailleurs à l'escrime bien sûr, car c'est ce que font les nobles. Après tout, cherche-t-il à se persuader, l'habit finira bien par faire le moine. Il va jusqu'à refuser la main de sa fille à l'homme qu'elle aime, Cléonte, celui-ci n'étant pas gentilhomme, le malheureux. Mais le valet de ce dernier, Covielle, fomentera un stratagème pour que l'union advienne. La nouvelle circule que le fils du Grand Turc souhaite épouser la demoiselle. Pourquoi donc Monsieur Jourdain en devrait-il douter ? Et l'entremetteur se fait metteur en scène grandiose pour honorer le bourgeois du titre suprême de « Mamouchi », et le couvrir de toute la gloire qu'il croit mériter. En d'autres termes, Jourdain est caressé dans le sens du poil.

Et c'est là que l’œuvre de Molière se fait vertigineuse, multipliant les mises en abyme. Ce bourgeois ordinaire est l'acteur, au sens sartrien, de sa propre vie, feint d'être ce qu'il n'est pas, et trouve l'occasion d'être plus grand acteur encore, dans le rôle qu'il n'avait pas même le courage d'espérer. Jourdain se trouve au cœur d'une immense illusion comique, Don Quichotte esseulé, dont tout l'entourage raille sa folie mais l'attise, condamne ses délires et ses envies tout en continuant à le faire miroiter. Nul Sancho Panza pour la ramener à la raison. Plus Monsieur Jourdain se fait leurrer, plus ses illusions grandissent, et avec elles ce pour quoi il était détestable, plus il devient touchant aux yeux des spectateurs, jusqu'au dernier plan déchirant de la pièce, la Marche pour la cérémonie des Turcs prenant des airs de marche funèbre. Le Bourgeois Gentilhomme, chef-d’œuvre baroque, donc.



Carnaval grandiloquent, où tous les personnages laissent transparaître leurs petits vices, leur ridicule, pour chacun d'eux un moment de vérité hystérisé par la dimension onirique de certaines scènes. On oscille, on vacille plutôt, entre Lewis Carroll, l'Heroic Fantasy, Calderón, l'expressionnisme allemand (Guillaume Gallienne joue un maître en philosophie tout droit sorti du Nosferatu de Murnau qui vaut à lui seul le déplacement) et même les visions de Fellini, dans un tumulte d'idées qui trouve son point d'orgue dans la cérémonie turque, désordre azimuté au son de la musique des Balkans qui laisse galvanisé. L'illusion finit par happer le spectateur. Exactement comme Monsieur Jourdain, on voudrait qu'elle ne cesse pas. L'espace d'un instant, on est si près d'y croire nous aussi. Et la crédulité du bourgeois, on la pardonnerait presque. Ainsi, « par raison démonstrative » comme dirait le maître d'escrime, Molière, dans cet abandon à l'illusion comique qu'il décrit, nous propose en quelque sorte une définition du théâtre.


Salle Richelieu, du 7 mai au 21 juillet 2022




Le dernier chevalier de Malte

 Dans la nuit de juin, Ferdinand von Hompesch, Grand Maître de l'Ordre, sort de l'Hôtel du Baron Parisio où Napoléon s'est insta...