dimanche 11 novembre 2018

Le Bûcher des vanités

Il avait prévu la fin d'un règne, la fin d'un monde, mis en garde, prophétisait, et le destin avait fini par l'écouter. L'armée française de Charles VIII entre en Toscane en 1494 et renverse les Médicis. Savonarole, cet étrange prophète dont les prédictions affolent l'ordre du monde, négocie avec l'ennemi et épargne Florence de la ruine. Les Florentins ont le privilège de choisir leur souverain. C'est ce prêtre dominicain qui aura leur faveur.
Aussitôt, il institue une théocratie. Florence devient une République chrétienne dans laquelle il ne cessera de s'opposer au clergé dont il condamne la dépravation morale, sous le regard inquiet de Rome.

En 1497, il organise avec ses disciples ce qui restera dans l'histoire comme le Bûcher des vanités, dans un désir de purifier le monde. On collecte tout ce qui est lié à la corruption spirituelle du temps: des œuvres de Pétrarque et de Boccace sont brûlées Piazza della Signoria, des robes, des étoffes, des bijoux, des miroirs, dans un feu toujours plus grand, dont la tornade de fumée s'aperçoit des collines avoisinantes, jusqu'à Fiesole, et plus loin encore, des images licencieuses, des cosmétiques, des coffres sculptés, des nus. Botticelli en personne jettera dans les flammes certains de ses chefs-d'oeuvre. On répète que c'est l'âme de Florence tout entière, cette âme trouble et souillée par les siècles, qui se lave dans le brasier.

Mais Savonarole est allé trop loin, le Pape décrète l'excommunication. Son fanatisme ne se calme pas pour autant. Il organise un nouvel autodafé en 1498. Mais la foule commence à protester. Les interdits sont devenus trop nombreux. On rouvre les salons de jeux qui ont été fermés, les lupanars. Et des émeutes font éclater l'autorité du moine.
Rome lui propose de s'en remettre à Dieu par l'épreuve du feu, il refusera l'ordalie. Le Couvent San Marco où il siège est alors pris d'assaut. Il est arrêté, lynché par la foule.

Les hommes du Pape, comme ses opposants politiques, lui font subir plusieurs semaines d'interrogatoire dont la visée véritable est un désir de se livrer à maintes séances de torture gratuite.

L'Inquisition le condamne finalement le 23 mai 1498. Il sera brûlé en place publique, à l'endroit même où il avait organisé ses bûchers, après être préalablement pendu comme ultime faveur. "Qui a tué par l'épée périra par l'épée."

Réformateur fascinant, terrible, trouble, il aura prêché contre la corruption des âmes et des Etats. Considéré comme l'un des premiers à avoir ouvert la voie au protestantisme, certains en appellent aujourd'hui encore à sa réhabilitation.

Photo de la Piazza delle Signoria  prise de la Loggia dei Lanzi, Florence:




jeudi 1 novembre 2018

La ville aux mille sièges

Les siècles ont offert au peuple catalan la résistance dans l'âme, et aux heures désespérées de leur histoire ils ont toujours honoré ces siècles de leur offrande.

Depuis 1714 déjà, on célèbre malgré la prise de Barcelone par les Bourbons, le courage indéfectible des vaincus qui ont lutté jusqu'au bout, symptôme peut-être d'une nation toujours en guerre, qui laisse planer avec le vent local, le garbi, un petit air perpétuel d'insurrection.

Gérone, discrète dans l'ombre de la mégalopole où l'on s'échine depuis un siècle à terminer une cathédrale interminable, est ainsi surnommée "La ville aux mille sièges" pour en avoir subi plus de treize entre 1295 et 1809.
Et même sous la puissance des assauts français, à cette époque où Napoléon, sur plusieurs fronts, mettait le monde à ses pieds, la ville resta fière. On la nomma alors "La trois fois immortelle" pour avoir essuyé trois sièges lors de la guerre d'Indépendance, trois sièges en une seule année.
Le 20 juin 1808, quelques soldats et des civils repoussent les troupes napoléoniennes qui n'auront pas le temps de franchir les remparts, de suivre le long de l'Onyar les allées de saules pleureurs, et se perdant dans le Call, gravir l'escalier monumental de la Cathédrale Santa Maria.
Le 22 juillet, deuxième tentative qui échoue encore, quand d'autres empires, plus grands encore, par-delà les Pyrénées, avaient montré moins de résistance à l'ambition de Napoléon.
Enfin, avec plus d'hommes, plus d'artillerie, la France assiège une nouvelle fois Gérone en mai 1809. Et sous le gouvernement d'Alvarez de Castro, la ville résiste à sept mois de siège, avec parfois des victoires éclatantes. Le 19 septembre, "le Grand Jour de Gérone", les troupes françaises sont même contraintes de battre en retraite. Mais la puissance de l'armée ennemie est, à cette époque encore, sans limite. Et la ville cède peu à peu. La famine et la maladie, que le commandant Alvarez en personne subira de plein fouet, contraignent Gérone à capituler le 11 décembre, ayant perdu la moitié de sa population, laissant pourtant moins le souvenir d'une défaite que celui d'une persévérance que seuls les siècles en effet avaient pu bâtir.

Photo de Gérone:


Saint-Tropez Jazz

 Au Café des Arts, des touristes anglais et allemands s'esclaffent, tonnent, gloussent. J'observais ce joyeux fatras, silencieux. A ...