dimanche 29 janvier 2023

Walter Sickert: d'or et de grisaille

Lié d'amitié avec Edgar Degas, dans la continuité de Toulouse-Lautrec. Disciple honni du peintre américain Whistler. Walter Sickert ouvrira une brèche dans la peinture anglo-saxonne, de telle sorte que Hopper, Lucian Freud ou Bacon semblent lui être redevables.



Il fréquentera les music-halls, les taudis, les cabarets, les théâtres décrépits, en y faisant ressortir tout l'éclat de leurs dorures, la profondeur aussi de leur pénombre. Saisir des visages, des grimaces dans l'obscurité, des raies de lumières qui encadrent dans l'instant une robe pourpre ou un geste gracieux. On y entend la clameur des spectateurs, la respiration d'une chanteuse, ou le claquement du talon sur un parquet. Plus tard, il sera l'un des premières à peindre des salles de cinéma, l'œil toujours par-delà la scène, plus haut, ou plus bas. Aux aguets du moindre reflet. Les repères renversés. Une contre-plongée vertigineuse. Des courbes de balcons. Des miroirs déformants. Des couleurs exacerbées. Ou une grisaille qui phagocyte tout. Le regard déjà photographique. L'instant où le regard perce de l'autre côté de l'illusion.


Puis des portraits, des paysages vénitiennes. Les coups de pinceaux forts, la toile comme attaquée aux couteaux. Des nus, crus et vrais comme le sont ceux de Bonnard, des corps qui s'alanguissent après l'amour, qui se redressent dans le noir d'une chambre, dont on ne perçoit rien qu'une cuisse blanche, un sein lourd et un visage peut-être défiguré. Par la maladie. Ou plus certainement par le travail de l'ombre. Rien à voir avec Renoir, rien à voir avec Courbet. La chair est devenu triste.


On pénètre désormais l'intimité des appartements, les intérieurs mornes, où les êtres s'ennuient. La mélancolie s'y aperçoit, discrète croit-on de prime abord, mais tout aussi terrassante que dans quelque gravure médiévale. Londres servira de décor, de scène de crime pour ainsi dire. Walter Sickert restera toute sa vie passionné par les faits-divers, les crimes des bas-fonds. Ceux de Whitechapel hante encore les consciences.



Et par une ironie du sort, on accusera même le peintre de vouloir perpétuer les crimes de Jack l'Eventreur, d'être un lointain complice, ou le tueur lui-même. Qui sait?

Ce qui rappelle la force d'évocation de ses toiles.


Walter Sickert, peindre et transgresser, exposition du Petit Palais




lundi 2 janvier 2023

Une nuit à Baden-Baden

 Leonid Tsypkin, né en 1926 à Minsk dans une famille juive de Russie, écrira des années pour ses tiroirs. Cumulant des notes et des débuts de romans à jamais inachevés. En 1982, après toute une décennie où il aura renoncé à produire le moindre écrit, il termine Un été à Baden-Baden. Une semaine plus tard, il trouvera la mort.

On ouvre les premières pages, et les phrases épousent les routes, les cahots d'un train qui file vers Leningrad: "C'était un train de jour, mais on était en hiver, en plein hiver, fin décembre, et puis le train allait vers Leningrad, vers le nord, il s'était donc mis à faire sombre très tôt -seules surgissaient les lumières des gares au sortir de Moscou, fuyantes, comme emportées en arrière par une invisible main; des petites gares sous la neige où les réverbères passaient comme une traînée de feu" et les propositions s'enchaînent. Des années plus tard, dans un autre siècle, en France, Mathias Enard tentera d'imiter ce style inimitable.


Dans ce train, l'auteur lit le journal de l'épouse Dostoïevski. Fin du printemps 1967, le couple arrive à Baden-Baden. L'auteur de Crimes et Châtiments est déjà venu ici, il y a subi les tourments d'une première union, qu'il dictera à Anna, sa nouvelle femme, détaillant les affres d'une passion qui la précède. Le résultat de leur collaboration aura donné naissance au Joueur, paru l'année d'avant. Baden s'y nomme Roulettenbourg.

Cette fois, la fièvre du jeu consumera tout entier l'écrivain russe. Plusieurs fois par jour, il fait des allers-retours jusqu'au casino, il mise, perd, renchérit, quémande, négocie, prie, échange, emprunte, demande pardon à Anna puis y retourne.


"Tantôt il perdait tantôt il gagnait, plutôt chanceux dans l'ensemble, s'il perdait c'était occasionnellement, quand on le heurtait au moment où il misait sur le rouge ou le noir, ou qu'autour de la table se répandait un parfum trop fort, puisqu'il y avait même des dames parmi les joueurs, ou encore quand il était gêné par un couple de Polonais assommants qui faisaient écran entre lui et les chiffres rouges sur lesquels il voulait miser..."


Il s'agace quand sa femme l'accompagne, l'accuse de faire fuir la fortune, elle se promène alors en attendant le retour de son époux, la fin du jour, en empruntant la Lichtentaler Strasse.

Il s'ennuie de la compagnie de Tourgeniev ou de Gontacharov, dont l'Oblomov s'est si bien vendu. Il fréquente les prêteurs sur gage. Et l'amour d'Anna demeure constant, inconditionnel, déplorant les pertes de Fedia, craignant la prochaine crise d'épilepsie.


Puis la fuite en avant continuera. Dresde, Genève pour un long séjour.

Soir de décembre, pluie froide, à l'hôtel am Sophienpark, je lis Leonid Tsypkin en train de lire le journal d'Anna Dostoïevski dans un train.

Il est bientôt minuit, je ferme le livre, je m'en vais tenter le hasard au casino.




Une Ballade des contradictions

 C'était la fin de l'hiver. Journée pluvieuse, grise. Pour des raisons longues à expliquer, j'étais allé me perdre jusqu'à l...