Je marchais parmi les jeux d'eau et la couleur des fleurs. L'été, étrange en ces temps-là pour des raisons que je discernais mal, vibrait dans l'air au rythme de la stridulation des criquets.
Le long de la terrasse j'apercevais la ville au pied de la colline de l'Alhambra, embrumée par la poussière du désert.
J'imagine Charles Quint, seul, marchant lentement le long des cyprès, enjambant les bassins bercés par la rêverie des fontaines. Dans la solitude du roi. Il a refusé de détruire les palais nasrides, émerveillé par leur raffinement. Tout au plus il a osé bâtir entre le patio des lions et le Generalife son austère monument: arènes qu'une forteresse carrée enferme: littéralement la quadrature du cercle. L'incongruité d'un bloc pachydermique, entre les porcelaines de jade de l'Orient. Cet homme d'un autre temps, d'un autre âge, effrayé, méfiant, tout autant fasciné par l'héritage oriental que les Maures ont abandonné derrière eux quand les Rois Catholiques ont reconquis l'Espagne, ses grands-parents. Déjà, il avait regretté avoir donné son accord pour installer la cathédrale dans la forêt d'arches de la Mosquée de Cordoue. Le ver dans la pomme. Une cathédrale certes, et pas des moindres, mais d'un commun, d'un ordinaire, dans un édifice si extraordinaire. Là encore un cheveu sur la soupe.
Je l'imagine, dans la nuit, mettre ses pas dans les pas des résidents qui l'ont précédé. Sans doute a-t-il une pensée pour Boabdil, le dernier des Maures, forcé de quitter l'Alhambra, en pleurs, sa mère achevant de l'humilier par son manque de compassion. Il arrive parfois que des mères aiment ainsi. A leur manière. Petit roi pris à la gorge, exilé parmi les exilés, qui subit le malheur du premier homme s'éloignant d'Eden. Quel destin, dans son malheur, quelle grandeur dans l'existence de ce roi jugé médiocre. J'ose croire que Charles Quint éprouve de la peine, lui au moins, lui seul peut-être, pour cet ennemi du fond des âges, que ses ancêtres avaient vaincu. Il aurait préféré, parce que c'est son tempérament, son humeur chevaleresque, que ce paradis fût son tombeau, plutôt qu'un lieu que l'on quitte, aimera-t-il répéter.
Préférer être inhumé par la beauté d'un tel monde que devoir la quitter.
Puis le vieux roi, avant d'abdiquer, soupira une dernière fois, en écho au dernier soupir de Boabdil dévalant la colline.
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