mercredi 12 juin 2019

L'incendie de la Sainte-Victoire

Trente ans que la Sainte-Victoire a pris feu. J'entends encore les habitants d'Aix proféré à demi-mot cette sentence biblique, avec le même regard que les Parisiens en avril 2019 devant Notre-Dame en feu: "La montagne brûle..."
Et d'épaisses fumées grises se confondre avec le ciel marin. La montagne brûle trois jours et trois nuits.

Je rêve, à cette vision, de Cézanne revenu d'entre les morts, peindre cet ultime tableau, comme Néron chantant devant Rome incendiée, les rires de l'empereur remplacés par les pleurs du peintre. Peindre et pleurer. Cézanne, hanté par la Sainte-Victoire, qui a poursuivi sa lumière, comme Monet celle de la cathédrale de Rouen, des dizaines et des dizaines de vues, la montagne jamais réduite, jamais saisie, à la manière des Ménines de Vélazques que Picasso repense, détruit, reconstruit, la dénaturant d'après nature pour la rendre plus vraie. Qu'est-ce qu'il reste en fin de compte? La lumière, toujours, la lumière seule de ce pays qui baigne cette Notre-Dame minérale de son aura sacrée.

S'il ne manqua pas d'avis sévères sur sa ville natale, Cézanne lui restera fidèle, laissant femme et enfant à cette vie parisienne qu'il méprise encore plus, pour ne s'inquiéter que de la forme des pins et la silhouette des pierres, au pied de la montagne, étudiant, esquissant jusqu'à son dernier souffle. L'une de ses toiles sera retrouvée dans les terres, après que le peintre a peint une nuit entière sa montagne sous la pluie. Quelques jours plus tard, il y rendra l'âme.

"Mais quand on est né là-bas, c'est foutu, rien ne vous dit plus", disait-il avec son accent chantant qui s'est depuis dilué dans le chant des grillons les soirs d'été.

Picasso en sera le seul héritier. "Ce qui nous intéresse, c'est l'inquiétude de Cézanne" dira-t-il au critique d'art Christian Zervos. Il emménagera dans une vieille bâtisse du pays d'Aix. J'ai acheté la Sainte-Victoire de Cézanne, répétera-t-il. On se réjouissait pour lui, l'une de ses quatre-vingt toiles?, demandait-on. Non, la vraie, répondait-il, la montagne!

Lectures: Marcelin Pleynet, Cézanne, Folio essais, 2010
                Bernard Fauconnier, L'incendie de la Sainte-Victoire, Motifs, 2019

Exposition: Sainte(s)-Victoire(s), du 18 mai au 29 septembre 2019, Musée Granet, Aix-en-Provence

Photo de la Sainte-Victoire:



L'une des vues de la Sainte-Victoire par Cézanne:




lundi 10 juin 2019

La Solitude des Alyscamps

Van Gogh y a posé son chevalet. Automne 1888, il découvre Arles. Non loin des arènes, quelques pierres sont alignées au pied d'une vieille église qui déshabille l'horizon. Il a invité Gauguin dans ses solitudes. Le peintre a les tropiques plein la tête, il ne parle déjà plus que des confins, des jungles denses, des nudités brunes. Il est revenu de ces mondes qui font pétiller le regard, et sa voix tremble à l'idée de repartir. Van Gogh lui montre ses Champs Elysées, à lui seul, ces allées de paradis qui rougeoient en automne. Gauguin doit y consentir, oublier un instant ses régions exotiques, lui aussi se sent charmé par l'envoûtement et le silence de ces sarcophages millénaires, tombeaux partagés des Anciens et des chrétiens.

La petite nécropole se tait; et sous mes pas, le craquement seul des herbes mortes. Les vers de Paul-Jean Toulet me reviennent en mémoire quand je me heurte aux amours d'antan comme le pied sur un caillou.

Romance sans musique

En Arles

Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd;

Et que se taisent les colombes:
Parle tout bas, si c'est d'amour,
Au bord des tombes.

Ces mêmes colombes qui marchent entre les pins, entre les tombes, sur le toit tranquille de Sète où Valéry repose...

Photo des Alyscamps d'Arles:




Le dernier chevalier de Malte

 Dans la nuit de juin, Ferdinand von Hompesch, Grand Maître de l'Ordre, sort de l'Hôtel du Baron Parisio où Napoléon s'est insta...