samedi 25 juillet 2020

Sous les pavés... Rome.

De l'autre côté de la Méditerranée, une petite ville timide, cependant reconnue depuis toujours pour la force de ses vents, qui a fasciné Charlemagne et son armée fatiguée, de laquelle seul le gringalet Aymerillot se sentit la bravoure de partir à l'assaut: "Le lendemain Aymery prit la ville" conclut Victor Hugo dans La Légende des Siècles; petite ville pourtant qui fut grande jadis, à l'époque de Rome: Narbonne.

Hiver 1996-1997. La municipalité lance le projet de réaménager la place de l'Hôtel de Ville, carrefour rythmé par les va-et-vient des automobiles entre le grand magasin Aux Dames de France et l'extraordinaire Palais des Archevêques qui jouxte la cathédrale. La mairie profite de ce chantier pour assainir de vieux égouts datant de l'Antiquité, en contre-bas de la Tour Aycelin, tout en verticalité, à la différence du Palais des Papes d'Avignon, par exemple, qui se déploie à l'horizontal, si bien que Pierre Sansot parlera non pas d'un palais médiéval mais d'une falaise écrasante qui rapetisserait le plus grand des hommes.

Les pelleteuses s'affairent dans la rumeur ordinaire des rues que l'on remue, quand -stupeur!- les ouvriers découvrent, sous le sol de l'Hôtel de Ville, une dalle romaine. On arrête tout. Les ingénieurs se réunissent, conseillers municipaux et spécialistes se concertent. Il faut prendre une décision. On a redécouvert une voie romaine qui traverse en son cœur celle qui fut la capitale de la Gaule romaine. C'était prévisible, pourtant. Les historiens ne sont pas vraiment étonnés. On avait même connaissance de cette route au dix-neuvième siècle, et puis la cité était un carrefour routier majeur au première siècle. Mais petite amnésie collective sans doute.
Sous les pavés, la Via Domitia, entre l'Espagne et l'Italie, patientait, comme un fleuve asséché. Rome était là, si près de nous, si loin du Latium, qui se rappelait au souvenir de tous. Sous nos pieds, 2000 ans.

Et maintenant, que faire? Tout recouvrir pour préserver l'antique vestige? Le reconstituer dans le cadre d'une exposition exceptionnelle? On se concerte encore, on débat, le temps presse, il faut décider, on repense le budget. On n'échappe jamais tout à fait à l'Empire romain.
On se fait même à l'idée, cette fois, pour de bon que décidément Tous les chemins mènent à Rome.

Il sera enfin décidé de repenser intégralement la piétonisation du cœur de ville et de dessiner un nouveau forum par-delà les siècles, où dans l'espace réduit d'un carré -templum de lointains augures?- la Via Domitia nous fait un dernier clin d’œil.

Idées de lecture:
-Pierre Sansot, Narbonne, ville ouverte, Fata Morgana, 2000
-Jacques Ibanès, Le Promeneur narbonnais, L'an demain, 2015

Photo de la Via Domitia, Narbonne:




mardi 14 juillet 2020

A Fleur de peau

Les événements récents ont bouleversé un certain nombre de nos codes sociaux, et la distanciation sociale que nous impose désormais la cohabitation avec le virus nous frustre dans notre rapport à l'autre. Le toucher, la caresse, le contact, notre manière d'approcher et donc d'appréhender notre prochain semblent devoir être analysés à l'aune de ces nouvelles mesures sanitaires. Le Musée du Petit Palais d'Avignon s'est ainsi décidé à proposer, non pas une exposition, mais un parcours au sein de ses collections permanentes et de quelques prêts pour orienter le regard du visiteur. Cette thématique, intitulée "A Fleur de peau", nous réapprend à voir, à sentir pour ainsi dire les œuvres remarquables qui y sont exposées: peintures médiévales fascinantes que le touriste italien lui-même, fût-il de Florence ou de Sienne, ne pourrait que jalouser.

"On touche avec les yeux", dit-on parfois aux enfants avant qu'ils ne pénètrent dans les galeries d'un musée. Ici, il s'agirait plutôt de voir, de comprendre, de "sentir" les gestes, le toucher, les étreintes et les salutations distanciées représentées dans les œuvres du Quattrocento et de la Renaissance. On interroge le toucher avec les yeux; au rythme des panneaux, notre regard est intelligemment guidé sur des détails, qui n'en sont plus tout à fait. Chaque fait et geste, au gré des fresques mythologiques ou religieuses, est mis en écho avec cette si soudaine pénurie du toucher dont nous souffrons depuis quelques mois.

On y croise une représentation de Job dont les tourments célestes qui l'accablent le couvrent de plaies. Son corps meurtri l'exclut plus encore du monde. Sa chair devient l'expression même de ses malheurs.


Ici, une oeuvre du photographe contemporain Andres Serrano représentant un pied sur lequel on reconnaît une plaie du Christ; en face, une crucifixion du seizième siècle.

Là, une Cène extraordinaire où Saint-Jean, le plus jeune des apôtres, se laisse tomber dans les bras de Dieu, s'abandonne dans son amour pour Lui.


On y découvre plus loin un impression étendard du début du quinzième siècle: La Vierge de la Miséricorde. Madone sollicitée pour se protéger des grandes épidémies d'alors. La tapisserie représente pourtant une foule de pénitents, à une époque où les rassemblements étaient déjà interdits par mesure de précaution. Une oeuvre remarquable de prime abord, qui nous parle plus que jamais, qui nous touche littéralement, désormais.


Mais l'un des clous du spectacle, sans jeu de mot, reste cependant un tempera sur bois de l'atelier de Botticelli ou de l'artiste lui-même: Noli me tangere. "Ne me touche pas", précation du Christ à Marie-Madeleine, qui se voit, refuser, comme Job, la grâce du toucher.


De ce parcours, l'esprit en sort plus aiguisé, l'air de rien, par le seul regard posé sur les corps rapprochés ou éloignés.

Exposition du Musée du Petit Palais d'Avignon: Su 10/07 au 31/08/2020


Une Ballade des contradictions

 C'était la fin de l'hiver. Journée pluvieuse, grise. Pour des raisons longues à expliquer, j'étais allé me perdre jusqu'à l...