En avril 1837, Stendhal entreprend son tour de France, et c'est autour du 10 qu'il franchit les portes de Fontainebleau, avec le désir de contempler les fresques de Primatice "qu'on dit fort bien restaurées." Mais le château au bout de la rue Royale est fermé et l'homme ne peut qu'imaginer la galerie François I, à propos de laquelle il a tant lu.
Quarante ans plus tard, ce ne sera qu'avec le soutien du bibliothécaire en chef de Fontainebleau, Octave Feuillet, un ami, que Gustave Flaubert pourra pénétrer dans les couloirs et les salles du château, en vue de l'écriture de son Education Sentimentale.
Stendhal, donc, se contente de découvrir les jardins anglais et le grand parterre, d'où il aperçoit les cheminées dressées vers le ciel. Son avis est pour le moins mitigé. "Le château de Fontainebleau est extrêmement mal situé, dans un fond. Il ressemble à un dictionnaire d'architecture; il y a de tout mais rien n'est touchant."
L'auteur faisait partie pourtant de ces quelques-uns dont j'aurais aimé retrouvé l'éblouissement à la vue des ailes se déployant au cœur de la forêt comme pour s'y faire une place de force. Il ne parle ni de l'étang, ni de la chapelle royale qu'il n'a pas dû remarquer, ni des perspectives de Le Nôtre, ou l'allée de Maintenon, ni de François I, et de sa rivalité avec Charles Quint, que le narrateur de la Recherche du Temps perdu disait être à la lecture de ses livres de chevet.
Stendhal manque Fontainebleau, le plus italien des châteaux pourtant, par son austérité, son histoire, son esprit. Comme il aura manqué Venise, merveille dont il ne dira rien de ses nombreux séjours par-delà les Alpes.
Une esthétique de Fontainebleau, écrit par Stendhal sur le coin d'une table de sa chambre à l'hôtel de la-Ville-de-Lyon, appartient à ces rendez-vous manqués de l'histoire littéraire.
Comme Proust et Joyce qui n'auront rien à se dire lors de leur rencontre au Ritz de Paris. Kubrick et son Napoléon. Michel-Ange ne réalisant jamais ce pont au-dessus de la Corne d'Or. Le Dune de Jodorowsky, le Mysterium de Scriabine à jamais inachevé, le Don Quichotte d'Orson Welles.
Et souvent je pense à ces fusions que j'aurais aimé voir naître en vain: une symphonie napolitaine par Rossini, qu'en sais-je? Un Charles Quint à Yuste par le Titien, un Gargantua comme dernier film de Fellini, une œuvre de Kafka sur l'Education nationale, un Louis XIV agonisant par le Bernin...
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