lundi 1 janvier 2018

Le cheval de Turin

Après avoir traversé toute la Riviera, de Nice à Gênes, dans l'espoir d'y trouver un abri pour son âme, Nietzsche découvre Turin le 5 avril 1888. C'est une révélation. Il réapprend lentement, dans le Piémont, ce qu'était vivre. Il s'émerveille de ses monuments, de ses arcades grâce auxquelles on a l'impression parfois que dans cette ville il ne pleut jamais tout à fait sur la tête de ses passants. Il mange avec plaisir toutes les spécialités de la région, lui qui n'avait jamais eu, une vie entière, le moindre appétit; il se fait un habitué du Caffe Elena, Piazza Vittorio Veneto, d'où l'on voit, dressée fièrement au-delà du Pô, Gran Madre di Dio. Dans ses lettres, il exulte de joie: il lui avait fallu toute une existence pour trouver en son âme un repos. Enfin.
"Connaissez-vous Turin? C'est une ville qui m'est entrée dans le cœur. C'est  même la seule. Paisible, presque majestueuse. Un lieu classique pour marcher et regarder (un paysage superbe et un ton de jaune et rouge sombre dans lequel tout s'harmonise). On y respire l'air du bon XVIIIe siècle. Des palais qui parlent aux sens, pas de forteresses Renaissance. Et du centre-ville, on voit les Alpes enneigées! Les rues semblent nous emmener là-haut. L'air est sec, d'une clarté sublime. Je n'aurais jamais cru qu'avec la lumière une ville pût devenir si belle."
Pour certains, toutefois, parmi ses amis les plus proches, cette euphorie qui ne lui ressemble pas est le dernier symptôme, peut-être, des tourments qui l'ont toujours poursuivi, la pointe de l'iceberg qui laisse dans l'ombre ses propres ténèbres.
Un matin de janvier 1889, il erre dans les rues de Turin quand il aperçoit un cocher battre son cheval qui s'entêtait un peu trop. Le philosophe est bouleversé par cette vision; il s'interpose entre l'animal et le fouet, agenouillé devant la bête qu'il embrasse. Il pleure à chaudes larmes. La raison l'avait quitté pour de bon.
Dix ans plus tard, il meurt à l'hôpital psychiatrique, à Iéna, où il fut aussitôt interné. "Voyez en moi le tyran de Turin", disait-il pour se présenter aux médecins et aux proches venus lui rendre visite. "Le tyran de Turin."

Sources: Voyages en Italie, Marc Walter, Catherine Donzel, Chêne
               L'immense solitude, Frédéric Pajak, Les Editions Noir sur Blanc, 2011

Photo de Turin, prise du Monte dei Cappuccini




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