vendredi 21 octobre 2022

L'entrevue d'Aigues-Mortes

 14 juillet 1538, le roi François I est attendu dans la cité. La foule se prépare, toute la petite ville s'agite, on fait venir de toute la Provence de quoi célébrer la rencontre entre les deux plus grands souverains du siècle. Les historiens, présents sur place, Di Pietro, Charles-Roux et Hermann ont tous évoqué l'effervescence du port: 6000 pains, 30 barriques de vin, une quantité folle de gibiers, des musiciens, et le reste.

On peut imaginer que les étangs tout autour sont alors rasés par le vent, et que l'air est saturé de sel, la pierre de soleil.


La cour de Charles Quint arrive le lendemain. On évoque peut-être une hésitation avant de franchir la porte de la Marine. Les drapeaux sont hissés, que la brise fait claquer dans l'air, on allume l'artillerie, et les détonations accompagnent les tambours et les cris de liesse.

Rabelais séjourne pour l'occasion dans la ville d'Aigues-Mortes, il fait référence à cette rencontre dans son Cinquième Livre où il décrit la profusion qu'il a dû connaître ces deux journées de juillet, qu'il transpose dans l'Île Sonnante.

Les deux souverains échangent longuement dans la Maison du Sieur Franc de Conseil. Encouragée par le pape Paul III, la rencontre doit mettre un terme aux guerres d'Italie. Une trêve est signée, des compromis sont faits, et mêmes des promesses, dit-on. Mais comme toujours, ennemis éternels, ces compromis seront révisés et les promesses rompues.

Quatre ans plus tard, en 1542, commence la neuvième guerre.

Et de quoi rêver encore de cette fameuse rivalité entre le roi français et l'empereur, qui aura travaillé autant l'imagination du jeune Marcel au début de La Recherche du Temps perdu, et l'imaginaire de tout l'Occident.


dimanche 9 octobre 2022

La poupée de Kokoschka

 Des dizaines d'éventails qu'il peignait, recouvrait de saynètes épiques, de visions wagnériennes, et qu'il lui destinait comme des lettres d'amour. Oskar Kokoschka fut en proie aux tourments amoureux. A partir de 1912, il commence une liaison avec la veuve Mahler. A ce souvenir, il peindra en 1913 une remarquable toile, la Fiancée du vent.


La rupture fut à la hauteur de la passion. Et le peintre ne sut jamais comment l'oublier.

Au contraire, il demandera à la costumière Hermine Moos, du théâtre de Munich, de lui confectionner une poupée grandeur nature, dans l'idée qu'elle vienne combler l'immense béance qu'elle dut laisser dans son existence, le quittant. En tout point semblable à la femme perdue. Un étrange pacte avec le diable...

Il lui envoie des recommandations, ses exigences concernant les mensurations, la douceur de sa peau, sa silhouette, il lui demande de faire revenir l'absente. Entreprise folle à la poursuite d'une Eurydice disparue.

Hermine Moos livrera la poupée, après de multiples complications liées à la structure du squelette, la solidité des coutures ou la qualité de la colle utilisée.



Kokoschka la représente souvent, dans ses œuvres; plusieurs fois il l'amènera avec lui, à l'opéra, vivra avec elle, presque au point de retrouver Alma, et de l'aimer déjà. Mais jamais tout à fait.

Pourtant, devant ce tas de chiffons ayant la forme d'un golem, il sent la douleur de la perte plus grande encore. Et souffre de la laideur du jouet qui échoue à le sauver du chagrin. Lors d'une nuit sombre, il décapite la créature.

Puis la guerre, et de plus grandes blessures occuperont sa vie. Il reçoit une balle dans la tête sur le front ukrainien et l'année suivante un coup de baïonnette dans le poumon. Puis Dresde. D'autres inquiétudes.

La peinture, néanmoins, toujours. Et son inimitable signature: OK.


Idée de lecture: La poupée de Kokoschka. Hélène Frédérick, 2010

Exposition: Oskar Kokoschka, un fauve à Vienne, Musée d'Art Moderne de la ville de Paris, jusqu'au 12 février 2023




Une Ballade des contradictions

 C'était la fin de l'hiver. Journée pluvieuse, grise. Pour des raisons longues à expliquer, j'étais allé me perdre jusqu'à l...