samedi 11 mai 2019

Le fleuve Rambla

Nous étions dans le Gracia. Grand soleil. Moiteur habituelle de la ville en été. Un proche m'appelle pour prendre de mes nouvelles: "ça va? Pas trop de pluie à Barcelone? Ils en parlent aux infos!" Je regarde le ciel, perplexe. Grand soleil, toujours. J'apprends dans la soirée que des orages sporadiques se sont abattus sur nos têtes, mais pas la mienne. Certaines rues de la vieille ville ont été inondées, et il aurait tellement plu que les Ramblas auraient ressemblé le temps d'une averse à un torrent.

Au fond, quoi de plus logique?

Sur la façade de l'un des hôtels de l'avenue, on peut justement lire une plaque rappelant le séjour d'Hans Christian Anderson, ici même, en 1862, lors de l'une des plus grandes inondations de la ville.
Les Ramblas, fleuve lourd que les pluies font déborder.
Le nom rambla est dérivé de l'arabe. Mot désignant le sablon, le lit d'une rivière, le courant et par extension le fleuve tout entier.
Et aux heures sèches, il suffit de se poser sur l'un des bancs à l'ombre des platanes pour observer la marée humaine s'écouler à son rythme, de la Place de la Catalogne au port; parfois l'inverse, c'est vrai, mais dans toute rivière, certains saumons remontent bien à la source.

Il y eut parfois des désastres, des tempêtes, notamment le 17 août 2017, quand une fourgonnette s'engouffre dans la perspective et fauche des dizaines de passants. Mais le fleuve a toujours repris ses droits, et naturellement, la foule a retrouvé le plaisir de flâner le long de ce cours d'eau.

A Barcelone, il n'y a qu'une rue, qu'un seul fleuve, auquel tout s'articule. Tout ce qui gravite autour de la Rambla se contente de l'abreuver. On a beau se perdre, s'éloigner, nos pas nous ramènent ici même.

Nul d'entre nous ne saurait être autre chose que l'un de ses affluents.

Photo des Ramblas de Barcelone:


dimanche 5 mai 2019

Viva Chamaco!

Je précise avant toute chose que je ne souhaite pas ici entrer dans quelque débat moral, incontestablement légitime, mais seulement parler de mes impressions devant une sorte d'art que d'autres avant moi ont su apprécier.

Vingt ans que le torero n'avait pas exercé. Vingt ans d'une retraite dont l'appel des arènes d'Arles l'aura sorti. La foule d'aficionados était fébrile, on applaudissait, on criait: "Chamacooooo!" "Chamaco, you're welcome!" L'homme était petit et brave, les gestes sûrs et lents, le regard vif surtout. Face à lui, le taureau avait quelque chose d'antique. 540 kg. Une monstre venu de la nuit des âges, ou peut-être de quelque Dédale. La créature le bousculera un peu, d'ailleurs, et tous ses subalternes se précipiteront. Chamaco se relèvera, il écartera ses hommes, ramassera sa muleta. Les cris dans les gradins, puis les applaudissements. Une rumeur dans toute l'arène.
"Musica!" entend-on, et l'orchestre enchaîne les paso doble. Tout de blanc vêtu, si près du taureau que son sang viendra teindre ses cuisses, Perera fait un travail honorable, les trophées lui seront pourtant refusés par la présidence. Une vieille dame hurle à côté de moi: "Te ha robado la oreja!" Elle t'a volé l'oreille! C'est presque drôle dans cette ville où Van Gogh aura coupé la sienne pour l'offrir à une putain en 1888. Mais la vieille avait, dans la voix, un tremblement ému, comme si elle avait elle-même subi la pire des injustices.
Chamaco, lui, obtiendra une oreille. Une retraite suspendue le temps d'une faena mérite une récompense. Mais le peuple n'est pas unanime. "Il y a trois mouchoirs qui se courent après, ce n'est pas un plébiscite, ça! Sifflets, huées. Le torero jettera l'oreille de colère. La foule jamais rancunière l'acclame en héros à la fin de la corrida.

On entend parfois "Indulto!", quelques personnes rient, applaudissent. Il est rare pourtant que l'animal soit grâcié.
Sébastien Castella se montre remarquable, même pour l'amateur que je suis. La vieille dame m'apprend les rudiments du métier: veronica, natural, suerte. A mes oreilles, c'est aussi beau que le nom des figures de style: anacoluthe, métaphore, hyperbate...
Le taureau est brave.
"Musica!" crie encore le public. Le chef d'orchestre reste assis. Castella danse avec le taureau: "Olé" et d'un geste élancé demande à son tour que l'orchestre tonne. Paso doble. Puis cesse... Tous font silence. L'instant où tout bascule. Vie ou mort. Le taureau ou l'homme. L'estocade. Le coup de grâce. Puis la foule applaudit, lentement, comme un cœur qui ralentit: "Qu'est-ce qu'ils font?, je demande à la dame.
-On accompagne le taureau dans la mort..."
Je restai saisi par cette réponse.
Puis la bête s'écroule. Le geste du torero fut précis. La foule se lève en liesse. Mouchoirs blancs agités. Toute une arène s'en couvre, comme les neiges aux sommets de la Sierra Nevada. Linceul sublime pour le taureau. Les deux oreilles. Et le torero est porté al hombres, sur les épaules de quelqu'un, dans un tonnerre d'acclamations.

Lectures: Ernest Hemingway, Mort dans l'après-midi, Gallimard, Folio
                                               L'été dangereux, Gallimard, Folio

Photo de Chamaco, feria d'Arles avril 2019






Saint-Tropez Jazz

 Au Café des Arts, des touristes anglais et allemands s'esclaffent, tonnent, gloussent. J'observais ce joyeux fatras, silencieux. A ...