dimanche 22 mars 2020

Sur les pas du Condottiere

En 1932, paraît l'un des derniers grands textes relatant un voyage d'Italie, que les artistes de la fin de la Renaissance avait démocratisé: Le Voyage du Condottiere d'André Suarès, livre d'histoire, essai métaphysique, journal, ouvrage mosaïque dans lequel chaque ville trouve un visage, une démarche, un sourire, une grimace parfois.

Une ville retient particulièrement son attention, une ville faite femme, comme il l'écrira, à laquelle il écrit lettre sur lettre, enflammées, passionnées. Il erre dans ces ruelles qui toutes conduisent au cœur du monde, le Campo, dans la droite ligne de l'alignement des astres, le point critique, la crête où tout s'équilibre, le secret des secrets, si la ville est féminine dans sa chair, comme il le dit:

"C'est la conque d'Aphrodite ou le bénitier de Marie: elle est rose sous la lune, et partagée en longs pétales de marbre. Immense et déserte à cette heure, elle est tout à moi comme au silence. Son ovale exquis, à la suave pente, est le sexe brûlant et clos de l'adorable ville. Voilà bien le Campo, la plus belle des places en Italie, toute bordée de palais rouges: et le plus vaste, le plus hardi de tous, qui en occupe tout un côté, est le palais de la République. Le doux ventre de la place s'incline avec langueur vers le palais illustre. Et lancé au fond du ciel, cherchant la lune, la plus ravissante et la plus haute des tours se dresse d'un seul jet, si robuste et si fin, si fort et si léger qu'il est  l'essor d'un seul lys rose à la corolle de neige, le beffroi de Sienne, un lys qui serait une flèche."



"Enfin, je vous ai vue, ma fiancée toute vierge et toute passion. Enfin je vous ai trouvée, ô ville tant cherchée, et vous m'avez accueilli, comme si vous m'eussiez attendu, comme si vous m'aviez souhaité. Un soir de printemps, le dernier entre mai l’œillet et juin la rose, à la fin d'une journée ardente, je suis entré dans la ville rouge, qui se retranche et se dresse sur un socle de terre chaude, pétrie dans le sang et veinée d'or. Le désert m'a porté jusqu'à vous, oasis. Avant de passer le seuil de Sienne, qu'on vienne du sud ou du nord, on chemine dans une vallée lunaire; les longs cierges noirs des cyprès veillent éteints sur les cendres, les uns en files de deuil, les autres en cercle, formant un concile pensif; et les sables gris ondulent sous le ciel comme des dos d'éléphants qui marchent sous terre, ne laissant affleurer que leur échine."

Photo de Sienne:

samedi 21 mars 2020

Un poème de néant

A la mort de Julien de Médicis, puis quelques années plus tard celle de son neveu Laurent II de Médicis, le cardinal Jules de Médicis, futur pape Clément VII, et le pape lui-même, Léon X, chargent Michel-Ange de bâtir un tombeau à la gloire de cette illustre famille florentine. L'artiste multiplie les projets, n'achèvent rien, il travaille encore, à Rome, le mausolée de Jules II, qui lui avait confié les fresques de la chapelle Sxitine.

De 1520 à 1534, il exécute la commande illustre. C'est en personne qu'il choisit ses blocs de marbre à Carrare, il dessine, repense, fait apparaître dans le roc la forme nécessaire, celle qui ne pouvait que surgir du marbre. Et pourtant, lentement, il s'éloigne de la simple célébration de la puissance des Grands, cette puissance aussi grande qu'éphémère. Lentement, ce n'est plus un autel à la gloire des Médicis qu'il crée, mais une sorte de sablier qui rappelle au mortel une ou deux vérités.
Jamais il n'aura su être un artiste de commande, jamais un contrat n'aura su calmer l'orage qu'il pouvait être.

Romain Rolland, prix Nobel de littérature oublié, écrit en 1905 dans un texte qu'il lui consacre que Michel-Ange "ne sculpta point les Médicis. Il sculpta sa douleur et sa rage."

S'il se plie à contre-cœur aux exigences de ses souverains, il parvient à s'émanciper dans l'austérité de la pierre à la rigueur de leurs volontés.

Romain Rolland parle alors d'un poème de néant:
"Qui pense seulement aux Médicis? C'est une tragédie de l'âme solitaire et désolée. De nouveau, souffle le grand vent aride et brûlant de la Sixtine, et des formes farouches se lèvent dan l'ombre. Mais tout est, ici, plus morne. Il règne sur toute l'oeuvre un silence funèbre. Ce n'est plus l'attente tragique du Fils de l'Homme. C'est le néant qui pèse sur ces géants qui gémissent et qui grondent, et sur les deux héros solitaires qui songent. L'imperfection superbe de certains de ces colosses, dont le sculpteur n'a fait que déchirer de son ciseau le voile de marbre qui les recouvre, ajoute encore à l'impression d'effroi mystérieux. Il semble que ces divinités antiques, à demi dégagées du chaos, s'épuisent en vains efforts contre la force de destruction qui les aspire."

L'aurore et le crépuscule se font face, dans la langueur grise du marbre de Carrare, que l'artiste une fois encore ne terminera pas, offrant au temps la suspension de l'éternité.

Photo du Tombeau de Julien, duc de Nemours, dans la chapelle des Médicis, Sagrestia Nuova, Florence:


mardi 3 mars 2020

Les cendres de Visconti

C'est sur cette île, ce roc, si loin de Naples en hiver, de son tumulte, de sa fureur, toute recroquevillée dans sa langueur, à Ischia que Visconti a vécu ses derniers jours. Il n'aura pu terminer son cycle inspiré de la tétralogie wagnérienne, après les Damnés, Mort à Venise et le Crépuscule des Dieux. Parfois, je l'imagine crapahuter dans les dédales du Château Aragonais, cigarette entre les lèvres, éternels sourcils ébouriffés, le regard vif, réfléchir au bord de l'eau à ce qu'aurait pu être cette dernière oeuvre sublime qui aura presque existé. En 2003, sur cette terre, on déposera ses cendres, comme l'exigeait son testament...




Cette même terre de volcan sur laquelle Lamartine débarque en 1820, jeune marié, qui se souvient alors d'un premier amour, rencontré à Procida, dans la splendeur des amours enfantines. Il écrira à sa manière son testament: Graziella.
Et au large du Vésuve, face au Pausilippe "qui calme les chagrins", deux spectres de femme lui occuperont sans doute l'esprit. Je reformais alors dans le mien ces quelques derniers vers écrits sur l'île d'Ischia:

"Et nous, aux doux penchants de ces verts Elysées,
Sur ces bords où l'amour eût caché son Eden,
Au murmure plaintif des vagues apaisées,
Aux rayons endormis de l'astre élysien,

Sous ce ciel où la vie, où le bonheur abonde,
Sur ces rives que l’œil se plaît à parcourir,
Nous avons respiré cet air d'un autre monde,
Lyse!, ...Et cependant on dit qu'il faut mourir!"

Photo d'Ischia:


Saint-Tropez Jazz

 Au Café des Arts, des touristes anglais et allemands s'esclaffent, tonnent, gloussent. J'observais ce joyeux fatras, silencieux. A ...