samedi 21 octobre 2023

Nicolas de Staël: la fièvre de la peinture

     Il y a des peintures de plomb comme on le dirait d'un soleil. Qui cogne comme en plein midi.



    En 1954, Nicolas de Staël revient de la Sicile, où il s'est brûlé la rétine devant les incandescences de l'horizon à Syracuse ou à Agrigente. Il s'agit donc de saisir la pesanteur de la lumière, celle qui fait fermer les yeux et qui brouille la vue. Camus en parlait déjà: "Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcil a coulé d'un coup sur les paupières et les a recouvertes d'un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front..." Le peintre court après le miroitement de l'air quand la lumière brûle tout et que le ciel et la terre se confondent, tel qu'ils se confondent dans les récits antiques. "A force de flamber sa rétine, on finit par voir des ciels verts, la mer en rouge et le sable violet" écrira-t-il. Il s'est réfugié seul en Provence, perdu dans ce Luberon calciné par l'été et les visions de la Sicile reviennent en bloc. N'est-ce pas déjà à Uzès, dans le grand Midi, que Racine avait su invoquer les princesses de Césarée ou ces rois coincés sur les rives d'Aulis, où tout un peuple est condamné à la tragédie parce que le vent ne se lève, disait Barthes.



    C'est ce grand Midi mythologique, en Provence, que l'artiste d'origine russe agrippe sur ces toiles, dans une urgence de peindre. Une fièvre qu'aucune nuit n'apaise. Une vitesse jamais arrêtée. On sait d'ailleurs que Staël se plaisait à pousser le moteur de sa voiture sur les routes entre Lagnes et Lourmarin, où Camus justement perdra la vie, la Facel Vega encastrée dans un platane.

    Car le peintre est un homme au bord du vide. Il est de la race des suicidés, aurait dit Pavese. Après avoir achevé son ultime chef-d'œuvre, Le Concert, il se jettera du haut de son atelier d'Antibes où il faisait face à la mer. Dire qu'il s'est tué d'amour serait insuffisant, il portait cette mort en lui depuis longtemps. Comme Pavese lui-même, ou Casagemas qui se tirera une balle devant celle qui l'éconduisait, dont la perte fera entrer Picasso dans sa période bleue.



    Staël laissera ces visions incandescentes, ces rouge sang qui éclaboussent l'art, ces matchs de football saisis dans le mouvement comme Picasso ou Manet représentaient des corridas, dans une sorte de permanence mythologique, des nus qui ressemblent à des paysages et des choses qui vibrent de trop exister.



Exposition au Musée d'Art Moderne, Nicolas de Staël, jusqu'au 21 janvier 2024




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