lundi 30 mai 2022

Plumes du paradis, colliers d'ambre

 Christian Dior se souvient: "Des femmes de mon enfance, il me reste surtout le souvenir de leurs parfums, parfums tenaces, beaucoup plus que ceux d'aujourd'hui, et qui embaumaient l'ascenseur, longtemps après leur passage, des tourbillons de fourrure, des gestes à la Boldini, des plumes du paradis, des colliers d'ambre."


Des gestes à la Boldini... De quoi laisser rêveur. Peintre de Ferrare quelque peu oublié que le Petit Palais remet tout à coup en lumière. On est projeté dans le froissement du satin, le poids des fragrance, la lenteur d'une démarche, la grâce d'un port de tête, l'éclat d'un regard. Les femmes si longuement, si précisément détaillées par Proust dans Les Plaisirs et les Jours, petite œuvre inaugurale qui donne justement son nom à l'exposition. On est saisi, dans le tournis d'un concert de fariboles, dignes des salons de Madame Verdurin, par la fulgurance soudaine d'une posture qui se fige dans l'éternité.



Toutes ces femmes frivoles, légères, parfois graves, fières, douces, piquantes, aux robes pourpre, aux pampilles vert Véronèse, le feston et l'ourlet aux couleurs de paons, voient leur silhouette s'élancer, sous le pinceau de L'Italien, onduler à la manière d'une volute, rappelant les figures maniéristes du seizième siècle. Le Greco, cela fût-ce possible à la Belle Epoque? n'est jamais loin.




Mais la ligne continue de se tordre, les traits se multiplient, le mouvement s'accélère, et les teintes tremblent, débordent de la forme. Déjà un peu le futurisme, Apollinaire, grand amateur d'art, le reconnaissait en son temps.

Sem, illustrateur fameux, parle ainsi de son ami: "Boldini a été le vrai peintre de son époque; il peignait les femmes à bout de nerfs, surmenés de ce siècle. Ces visions fulgurantes en zigzag tels des éclairs de chaleur, tous ces frissons, ces trémoussements, ces crispations sont bien dans la note de ces temps de névrose."

Boldini, Les Plaisirs et les Jours, exposition au Petit Palais jusqu'au 24 juillet 2022




samedi 21 mai 2022

El Americano

Il a dix-sept ans. Huit ans plus tard, il réalisera Citizen Kane. Le cinéma américain en restera KO. Il dépense la fortune de son père. Ne se soucie pas de ce genre de tracas. L'Europe désormais. Dublin. Paris, où il sera initié à l'illusion auprès de Houdini. Puis Séville. Dix-sept ans. Il emménage dans le quartier gitan. Triana. Au-dessus d'un bordel. Il y restera pour quatre mois, mais ne quittera jamais tout à fait l'Espagne. Il passe son temps à écrire des pulp fictions pour des journaux confidentiels. Tout Shakespeare sous le bras. Il a déjà en tête son Othello, Macbeth ou Falstaff.




Il découvre la Feria, la beauté des andalouses, le flamenco, le parfum des orangers, enchaîne les vermouths, découvre la corrida et finance lui-même quatre faenas dans les arènes. Il se mesure à la Bête. Se fait appeler El Americano. Un personnage d'un roman de Montherlant. Il se fait huer par la foule. Recommencera. Jamais ne se lassera du rouge de la muleta. Du noir du toro. De la douceur des nuits par-delà le Guadalquivir. En oublie le sommeil. Et fermente en lui déjà toute son œuvre. L'Espagne y sera toujours en creux. Au cœur.




Les murailles d'Avila, l'Alcazar de Ségovie, la plaza de Chinchon devenu un quartier de Macao, un parc de Madrid pour représenter la campagne anglaise.

Et bien sûr, son Don Quichotte. Œuvre inachevée, qu'il travaille une vie durant. A ses heures perdues. En pure perte. Il court après le Chevalier à la Triste Figure. Lutte contre ses propres moulins. Dans le désert de Castille. En songe du moins, puisque le tournage aura lieu au Mexique surtout, l'acteur principal, Francisco Regueira, ayant dû quitter le régime franquiste. Il laissera des milliers d'heures de rush. Ce fut le réalisateur espagnol, Jess Franco, connu pour ses films d'horreur teintés d'érotisme, qui se chargera de proposer un montage cohérent du film mort-né d'Orson Welles. Il avait été son assistant réalisateur sur le tournage de Falstaff. Il tourna, plusieurs décennies, des centaines de films, parfois trois ou quatre à la fois, reprenant des bribes ici et là, construisant, déconstruisant, dans une urgence, une frénésie qui le rapprochaient, si ce n'est dans le résultat au moins dans l'élan, d'une forme de grâce artistique qu'Orson Welles, j'en suis sûr, devait admirer.





mercredi 4 mai 2022

De sang et d'ombre

 L'œuvre commence par le récit d'une extraordinaire procession: les pénitents reproduisent les douleurs du Christ dans la nuit de Séville. Comme des coups sur la porte en fer du néant.

"La Giralda fit entendre douze coups, frappés sur un airain si haut placé et dans un air si mince que les ondes se propagèrent jusqu'au fleuve; ils retentissaient sur deux tons, comme un battement et sa riposte, de sorte que ce minuit ressembla au ferraillement de deux épées."



"La Plaza Mayor plaisait aux Français parce que, construite à la même époque que la place des Vosges, elle la leur rappelait. Les façades, de cinq cents croisées chacune, s'éclairaient par des rangées de flammes, chaque fenêtre ayant aux deux angles un candélabre à haut cierge de cire blanche. Sur quatre étages de balcons, le drap écarlate à franges d'or brillait théâtralement au front des maisons illuminées."




"Pâques, c'est déjà l'été. Cette soirée d'avril se déguisait en nuit d'août. L'Alcazar découpait dans un ciel d'étoiles les créneaux de ses murailles d'un vermillon ardent que la lune adoucissait en un rose fané. C'était dans l'extrême Occident la sérénité d'une nuit d'Orient."

Ce sont les mots de Paul Morand. Son Flagellant de Séville replonge, à l'aune des Caprichos de Goya, dans l'invasion napoléonienne de l'Espagne. Ses héros sont tiraillés, écartelés entre un désir de résistance et la tentation de collaborer. Tiens, tiens... Hésitant entre les idées qui animent les troupes ennemies, l'entreprise incommensurable de l'Empereur à la source de tous ces bouleversements, et l'immobilité souveraine de la nation.

Au-dessus de tout cela il y a la guerre qui broie les hommes. Ce seront les Dos y Tres de Mayo. Les meurtrissures de l'Espagne, par-delà les siècles se répètent pourtant. Napoléon met son frère sur le trône. Plus d'un siècle après, l'ennemi, intérieur cette fois, intime, fera de nouveau plier le pays.




Camus écrira: « C'est en Espagne que ma génération a appris que l'on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l'âme et que, parfois, le courage n'obtient pas de récompense. C'est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d'hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause. »


Et pourtant, on peut relever ces mots d'un Général dans le Testament Espagnol de Koestler: "Vous autres, étrangers, dit-il, êtes toujours si impatients. Il se peut que nous perdions Malaga, il se peut également que nous perdions Madrid et la moitié de la Catalogne, mais à la fin nous gagnerons tout de même."


A la fin, nous gagnerons tout de même. L'histoire, tant d'années après, bien après la guerre et les défaites, a donné raison à cet homme.




Une Ballade des contradictions

 C'était la fin de l'hiver. Journée pluvieuse, grise. Pour des raisons longues à expliquer, j'étais allé me perdre jusqu'à l...