jeudi 23 mars 2023

Burdeos lluviosa

 L'Espagne est un pays que l'on quitte... 39, les réfugiés jusqu'en France, les Pyrénées, les longs cortèges inquiets... 36 déjà, les intellectuels, les écrivains, les poètes qui meurent à la frontière... Port-Bou... Collioure bien sûr... Les grands bouleversements du vingtième siècle... Ceux du siècle précédent... Après les guerres d'Espagne de Napoléon évidemment. C'est Bordeaux à cette époque-là... 401 familles expatriées, selon les archives... Les atrocités en souvenirs... Pensons aux gravures de Goya, celles de Saragosse. Les désastres de la guerre, les caprices... quelque chose de médiéval, Jérôme Bosch, Brueghel, grotesque, monstrueux... Des danses macabres... Toutes exposées au Prado, justement, pas loin du tout des Obras negras.... L'œuvre d'un sourd, d'un voyant, il n'y en pas tant, Beethoven, Rimbaud, Baudelaire, et les hommes tourmentés de la Renaissance, on les connaît, pas le temps de les nommer...


Goya justement fuit son pays, dégoûté par la politique, par les mœurs, le temps, le monde... Il arrive à Bordeaux en 1824... De plus en plus enfermé dans sa surdité, il peint, continue de graver, dessine, brûle aussi, parfois... Une œuvre à quatre mains, avec sa fille sans doute, d'une douceur impossible à exprimer... La Laitière de Bordeaux... Lumineuse. Il y a du Picasso, autre exilé, dans ses débuts, dans sa période rose, les années 10, peut-être aussi les années 50, le séjour à Perpignan, dans le regard, le portrait de profil... Madame Lanzerme, déjà...



Il y aura des lithographies, des études, une extraordinaire scènes tauromachique dans les arènes de Bordeaux, des esquisses consacrées aux aliénés... Des visions dans le silence qu'il subit...

Puis des mystères. La dépouille du peintre est exhumée, on constate que la tête manque... Le corps rapatrié en Espagne...



La ville est grise et nimbée d'une bruine épaisse. Nous tombons sur une petite place où la statue de l'artiste se dresse... Dans ce brouillard d'eau, où le fleuve imprègne la moindre rue, drainant avec lui la masse immense de l'océan pas loin... Venise, peut-être, Londres sans doute dans cette humidité poisseuse...

Pierre Veilletet en parle: "Il reste peu d'endroits sous nos latitudes où l'eau, la pierre et le ciel tiennent aussi justement leur partition... C'est de l'eau de Garonne, grasse, un peu espagnole, tirant sur le jaune..." L'eau est partout, suintante, débordante... Il continue ainsi: "J'entrevois des fragments de fleuve comme des morceaux de réglisse entre les hangars. Les nuits d'été font lever des odeurs de vase. Je peux dire que je dors dans le lit de la Garonne. On se parle peu, on cherche le sommeil dans les mêmes roulis, on partage le songe anxieux des marées. On se raconte nos belles sirènes d'autrefois." (Bords d'eaux)


Puis Sollers, le plus juste, le plus vif, hélas, ou pas :

"Je regarde la ville allongée... Silence. Brume. Port de lune... Croissant argenté dans l'eau... Garonne miroitante blanche... Air d'ailleurs. D'où, au fait? Voiliers vers Londres, Amsterdam, Anvers, cales bourrées de claret... Arrivées de Montevideo ou Valparaiso..." (Portrait du Joueur)




lundi 13 mars 2023

Lyon en ces temps-là...

 En ces temps-là, j'avais l'esprit plein de rêves. J'en étais aux débuts de l'existence, et je me contentais de traverser le pont de Guillotière pour être heureux. Jusqu'à l'Hôtel-Dieu, que j'ai connu sombre et sale, creusé, éviscéré, qui n'avait pas encore révélé ses cloîtres et ses dérobées qui rappellent désormais le souvenir d'un Rabelais médecin.


En ces temps-là, j'avais l'esprit plein de livres. J'accumulais les débuts de romans que je ne finissais pas, bien sûr; j'écumais les librairies et les cafés augustes à l'aube, attendant le jour, guettant l'inspiration et cherchant les fantômes, rue Mercière, de Sébastien Gryphe, imprimeur et prince des libraires, ou d'Etienne Dolet que l'obscurantisme d'alors éteindra tout à fait dans l'éclat du bûcher en août 1546.


 En ces temps-là, époque lointaine, j'avais la tête pleine de ce Lyon oublié, celui de 1540, qu'en sais-je?, des humanistes et des commerçants. Je disparaissais dans les traboules sans fin, soulevais quelques  voiles secrets à chaque fois que j'entrais dans une cour intérieure. Si souvent je me suis cru dans le Trastevere au pied de la Tour Rose.


En ces temps-là, époque révolue, j'avais la tête pleine de ces amours enfantines, à attendre, quoi donc d'ailleurs? Patienter et errer, à me languir comme on se languit dans les œuvres de Louise Labé, suspendu parfois à la confluence du Rhône et de la Saône, avec en mémoire sans doute des vers de Maurice Scène, dédiée à son indéchiffrable Délie:

"Plutôt seront Rhône et Saône déjoints

Que d'avec toi mon cœur se désassemble;

Plutôt seront l'un et l'autre Monts joints,

Q'avecques nous aucun discor s'assemble..."


Et pourtant, dois-je l'avouer, la vie sépare les êtres bien avant que les collines de Fourvière et de la Croix-Rousse ne se joignent...



En ces temps-là, Lyon... Lyon en 1540...

Mon père, de nos jours, s'y rend parfois et me téléphone: "J'ai l'impression que tu as laissé quelque chose de toi dans ces rues..." Pense-t-il si bien dire... "Et que tu vas apparaître au détour d'une impasse..." Si seulement...

C'est qu'à force de solitude, j'imagine que l'on finit par y perdre un morceau d'âme.


En ces temps-là, Lyon...



Une Ballade des contradictions

 C'était la fin de l'hiver. Journée pluvieuse, grise. Pour des raisons longues à expliquer, j'étais allé me perdre jusqu'à l...