Nous revenions de quelque grève de sable noir et d’étangs à perte de vue. Nous cherchions une escale. Ce fut donc Avignon et une pluie diluvienne qui nous surprit. C’est ainsi qu’on aurait envie d’imaginer la cité papale un jour de novembre, quelque part au Moyen-Âge.
On dut se réfugier au Petit Palais à
propos duquel j’avais déjà écrit une petite bricole sur le toucher dans les
représentations médiévales, encouragé par les injonctions pressantes d’un ami
qui m’eut initié à l’effervescence de la ville en été, quand les rues sont
aussi bigarrées qu’un soir de carnaval. Il me parlait sans cesse de Jean Vilar
et des dernières audaces du théâtre contemporain.
Le Rhône s’assombrissait. Des salles
vides, on pouvait apercevoir d’anciens remparts ocres désormais gris. Pourtant,
dans les couloirs, une sorte d’éclat semblait jaillir, comme un rayon de
lumière peut ricocher sur la lame d’un couteau. C’est parfois l’effet que cause
la peinture.
Le Petit Palais, tout en face du
Grand Palais des Papes, contient la plus grande collection de primitifs
italiens en France après le Louvres, avec 326 peintures. Pour la grande
majorité, il s’agit d’une partie de la Collection Campana, collectionneur pour
le moins fantasque et aux méthodes quelquefois douteuses, notamment concernant
la restauration des œuvres, particulièrement les objets étrusques qui
remplissent les galeries du plus grand musée du monde. L’Ecole d’Avignon côtoie
celle de Sienne. Nul ne sait tout à fait d’ailleurs comment le marquis Campana
pu acquérir ces merveilles. Tous les Renaissances se succèdent et semblent
faire oublier la précédente. On croise l’atelier de Botticelli et des roses qui
tourbillonnent, des visages impassibles de Vierges tristes, des vallons toscans
un peu étranges comme une toile de Chirico.
J’avais déjà senti cette
illumination dans les sous-sols de la National
Gallery ; elle dormait, tenue alitée par une méchante grippe, et je
passais le temps parmi les visions de Giotto et de Cimabue. Je finis par la
réveiller pour lui demander de venir voir ça : une journée ne pouvait pas
tout à fait être ratée si on avait vu ça !
Dans le dédale du Petit Palais, du
fond des âges, apparurent des scènes vibrantes ; ainsi tremblent parfois
des reflets dans l’eau. Les panneaux de la légende minoenne s’alignent face à
nous, et me laissent au fond de la rétine un rond vermeil comme après avoir
trop regardé le soleil. On ne sait à peu près rien de l’artiste : le
Maître des spalliere Campana.
Etonnant comme nom. Parfois appelé le Maître des cassini Campana, cela n’aide pas plus, en effet. On reprend le nom
du collectionneur, faute de mieux. Maestro di Tavarnelle parfois, ou encore
Maestro di Ovidio aurait été un peintre français ou italien actif à Florence
dans les premières décennies du seizième siècle à Florence, le Duomo en ces
temps-là, était à peine achevé. Grand spécialiste de cassini, décoration des coffrets et des spalliere, panneaux de décoration du mobilier de la noblesse
florentine. Sur un obscur article, on peut même lire sans la moindre preuve
qu’il serait mort à Tsarat. En Russie. Il faut s’arrêter trente secondes :
ce doit être quelque chose, un artiste de la Renaissance Italienne égaré dans
le froid polaire de la Sibérie…
Six panneaux de bois. Du peuplier. Deux ont été retrouvés dernièrement, ce qui conforte la thèse des spalliere, des lambris, et non plus des quatre faces de cassini.
Tout d'un coup, d'un seul regard, c'est la Crête tout entière qui surgit. La mer Egée, de ce bleu profond, dans laquelle le pauvre Icare dégringole, ses ailes calcinées par le soleil crétois. Devant nous, le labyrinthe. Thésée resplendit comme un chevalier de la Table Ronde. Tout carapaçonné de son armure, on croit voir un guerrier du Carpaccio. Au centre de l'architecture de Dédale, le monstre à la tête de taureau résiste.
La prise d'Athènes par Minos. Pasiphaé séduite par un taureau blanc. De leur union Phèdre et la créature enfermée. Racine en fera l'une des plus belles pièces du théâtre français. Ariane, rarement aussi sensuelle, aussi belle, si nue, déjà, gorge déployée, abandonnée par Thésée, puis raptée par Bacchus et son cortège de ménades et de silènes, créatures au corps visqueux de vipères. C'est Ovide, Virgile dont on tourne les pages. C'est Homère que l'on survole. Le moindre détail nous ouvre les yeux, même dans la grisaille d'un hiver en Provence, même parmi les volutes de la campagne toscane, oui, nous ouvre les yeux, sur la grande incandescence de la Méditerranée.
Dans cette immense lumière des mythes, peinte délicatement sur de l'écorce, la légende minoenne fait résonner jusqu'à nous son fracas.
Avignon, Musée du Petit Palais
Source:
La redécouverte des panneaux Campana et la troublante histoire de Thésée, dans Le Curieux des Arts.
https://www.lecurieuxdesarts.fr/2022/09/la-redecouverte-de-panneaux-campana-et-la-troublante-histoire-de-thesee-musee-du-petit-palais-avignon.html
Idée de lecture
A Fleur de Peau, dans La Vitesse des Choses
http://lavitessedeschoses.blogspot.com/2020/07/a-fleur-de-peau.html


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