mercredi 4 mai 2022

De sang et d'ombre

 L'œuvre commence par le récit d'une extraordinaire procession: les pénitents reproduisent les douleurs du Christ dans la nuit de Séville. Comme des coups sur la porte en fer du néant.

"La Giralda fit entendre douze coups, frappés sur un airain si haut placé et dans un air si mince que les ondes se propagèrent jusqu'au fleuve; ils retentissaient sur deux tons, comme un battement et sa riposte, de sorte que ce minuit ressembla au ferraillement de deux épées."



"La Plaza Mayor plaisait aux Français parce que, construite à la même époque que la place des Vosges, elle la leur rappelait. Les façades, de cinq cents croisées chacune, s'éclairaient par des rangées de flammes, chaque fenêtre ayant aux deux angles un candélabre à haut cierge de cire blanche. Sur quatre étages de balcons, le drap écarlate à franges d'or brillait théâtralement au front des maisons illuminées."




"Pâques, c'est déjà l'été. Cette soirée d'avril se déguisait en nuit d'août. L'Alcazar découpait dans un ciel d'étoiles les créneaux de ses murailles d'un vermillon ardent que la lune adoucissait en un rose fané. C'était dans l'extrême Occident la sérénité d'une nuit d'Orient."

Ce sont les mots de Paul Morand. Son Flagellant de Séville replonge, à l'aune des Caprichos de Goya, dans l'invasion napoléonienne de l'Espagne. Ses héros sont tiraillés, écartelés entre un désir de résistance et la tentation de collaborer. Tiens, tiens... Hésitant entre les idées qui animent les troupes ennemies, l'entreprise incommensurable de l'Empereur à la source de tous ces bouleversements, et l'immobilité souveraine de la nation.

Au-dessus de tout cela il y a la guerre qui broie les hommes. Ce seront les Dos y Tres de Mayo. Les meurtrissures de l'Espagne, par-delà les siècles se répètent pourtant. Napoléon met son frère sur le trône. Plus d'un siècle après, l'ennemi, intérieur cette fois, intime, fera de nouveau plier le pays.




Camus écrira: « C'est en Espagne que ma génération a appris que l'on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l'âme et que, parfois, le courage n'obtient pas de récompense. C'est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d'hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause. »


Et pourtant, on peut relever ces mots d'un Général dans le Testament Espagnol de Koestler: "Vous autres, étrangers, dit-il, êtes toujours si impatients. Il se peut que nous perdions Malaga, il se peut également que nous perdions Madrid et la moitié de la Catalogne, mais à la fin nous gagnerons tout de même."


A la fin, nous gagnerons tout de même. L'histoire, tant d'années après, bien après la guerre et les défaites, a donné raison à cet homme.




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