Touché par une balle allemande le 22 mai 1918, Joë Bousquet ne se relèvera jamais de sa blessure. Colonne vertébrale atteinte, il restera alité plus d'une trentaine d'années, dans une petite chambre, aux volets continuellement clos, au cœur de Carcassonne. En pays cathare.
Au milieu des livres, dans les fumées d'opium pour alléger la douleur, parmi les parfums laissés par le passage des nombreuses femmes qui viennent lui rendre visite.
Bousquet est charmant, intelligent, raffiné; elles le savent. Lui, qui voyageait jadis, homme pressé, qui se plaisait aux jeux de la séduction dans les rues de Béziers ou de Narbonne où il est né, doit se faire aux exigences de la lenteur. Prisonnier de son corps.
Il écrit. La vie intérieur en ébullition.
Les ouvrages recouvrent son lit. Il ne cesse de créer. Des poèmes, des essais, des romans ésotériques.
Par là, il cherche à naturaliser sa blessure, comme il le répète. L'accepter. Admettre qu'elle fait partie de son corps, mieux: qu'elle le supplante tout entier.
Dans le microcosme de sa bibliothèque, de ce boudoir, de ce tombeau, il se constituera une compagnie de spectres. A la manière de Sade dans sa cellule, il donne corps aux fantasmes dans le souvenir voluptueux de celles qu'il n'aura jamais connues, que seul le désir liait, d'autant plus fort qu'il était un désir pur.
En 39, il fera publier son oeuvre la plus hallucinante, Le Cahier noir, longue litanie sexuelle où il ressasse en boucle un même instant. Une sodomie où la femme étreinte se métamorphose toujours, au gré des réminiscences. Elles se nomment Isel, Hortie, Blanche-par-Amour, Houx-Rainette, Abeille d'Hiver...
Lors de la défaite française, sa chambre, Divan tout oriental, deviendra le Quartier Général de tous les intellectuels fuyant le régime de Vichy. On y croisait alors Eluard, Aragon, Gide, Valéry, Paulhan, Dubuffet, Triolet.
Autour de ce corps infirme et immobile, enfoui sous les livres, plongé dans l'ombre, s'organise alors, jusqu'à sa mort en 1950 une résistance: tout un petit monde où l'esprit semble, malgré les défaites du corps, à jamais vainqueur.
Photo de la chambre de Joë Bousquet, Maison des mémoires, Centre Joë Bousquet, Carcassonne:
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