Quand le marquis de Dos Aguas entreprend de restaurer en 1740
un palais valencien du XVe siècle, il fait appel au peintre Hipolito Roviro et
au sculpteur Ignacio Vergara pour les trompes-l’œil, inspirés sans doute de ceux de la Strada Nuova de Gênes, les balcons ornés de hauts-reliefs et le faste des intérieurs. La porte en albâtre condense toute l'exubérance de leur art. La
pierre se retrouve comme animée, vibrante, en géants contorsionnés à la manière
de Michel-Ange, en motifs végétaux, en racines et fleurs sauvages qui
croissent, dans un mouvement qui aspire vers le haut. Tous les vertiges du
baroque tardif s'y mêlent.
A la même époque, de l'autre côté de la Méditerranée, à Rome,
la Fontaine de Trevi se construit. Il faudra trente ans pour que le chantier
soit achevé.
Certes on pense déjà un peu à Gaudi, mais avant tout ce sont les courbes du
Bernin, un siècle plus tôt, qui sautent aux yeux, ce même geste, cette même impression que le marbre
ou l'albâtre tout à coup respire. Une cuisse qui plie sous la prise d'une main.
Une façade qui ondule, comme plongé dans un aquarium, qui se déploie en vague.
Un fleuve changé en minéral, car ce sont les fleuves Turia et Jucar qui irriguent la lagune valencienne que le sculpteur a représentés, dans ce ruissellement
féroce, comme le Bernin lui-même avait représenté le Nil, le Gange, le Danube et le Rio de la Plata, face à l'église de son
éternel rival Borromini, sur la piazza Navona.
La porte du Palacio del Marqués de Dos Aguas distord les formes, plie le roc, on y est tout autant
écrasé que projeté devant la perspective, et c'est parfois la Chute des Damnés
de Rubens que l'on croit reconnaître dans ces géants précipités.
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