samedi 11 août 2018

La Baie des Poètes

Aux premières heures, le soleil lutte avec le silence. Les mouettes observent. Un lézard ou deux se faufilent. L'air est moite déjà, tout embaumé des parfums de figuiers. Sur ces senteurs méditerranéennes, le vent discret dépose les effluves salées du large et d'autres fulgurances des foccace qui cuisent dans les fours.

Au comptoir, au coude à coude avec ces espèces d'hommes que l'on nomme les matinaux, je vide mon caffè en deux minuscules gorgées qui les valent toutes. Et je me perds sur les hauteurs qui mènent à la forteresse. Toute la Baie des Poètes, muette, devant moi, dans les tremblements de l'horizon. Nom qui lui fut donné en souvenir des poètes qui y sont restés ébahis, rêveurs devant sa perspective, Byron, Shelley et les autres, anonymes, transparents qui ont perçu les mêmes vibrations de l'eau, senti les mêmes parfums, emportés par les mêmes Muses. Au loin.

Dans la lumière rasante de l'aube, je remarque au loin Porto Venere et ces trois îles, Palmaria, Tino et Tinetto. Je scrute les confins, comme pour y remarquer le retour de quelque épave après la tempête et ses naufrages, le retour de fantômes tels que la mer parfois en recrache par-delà le temps.

Percy Shelley fut saisi par l'horizon, une matinée de l'été 1822, une matinée comme celle-ci peut-être, son bateau englouti par le caprice des eaux, au large de Lerici, qui, le doigt sur la bouche, tait le souvenir de ses morts, le regard mouillé pour y faire son deuil, deux siècles plus tard.

Mais il arrive parfois, quand on prête l'oreille au silence, que le vent récite quelques-uns de ses poèmes:

Vers écrits dans la Baie de Lerici

Elle me quitta à l'heure silencieuse
Où la lune avait fini de gravir
Le sentier d'azur de la pente du Ciel,
Et comme un albatros pris de sommeil,
En équilibre sur ses ailes de lumière,
Elle planait dans la nuit pourpre,
Avant de regagner son nid de l'océan
Dans les chambres de l'Ouest;
Elle me quitta, et seul je demeurai
A méditer tous les accords
Dont, pourtant silencieux à l'oreille,
Le cœur ensorcelé reconnaissait le timbre,
Telles des notes qui meurent sitôt nées,
Mais pour autant ne cessent
De hanter les échos que renvoient la colline;
Et à sentir -bien trop!-
La soyeuse vibration de sa caresse,
Comme si sa main douce, même à présent,
Tremblait légère sur mon front;
Et ainsi, bien qu'elle fût absente,
Le souvenir me donnait d'elle tout
Ce que même la Fantaisie défie de réclamer: -
Sa présence avait adouci et dompté
Toutes les passions, et seul j'habitai
Cette heure qui est la nôtre

Percy Bysshe Shelley

Photo de Lerici:


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