dimanche 12 août 2018

Le syndrome de Stendhal

Stendhal traverse l'Italie à de nombreuses reprises au cours de son existence; il se fait un ami intime des ocres, des ruines, des marbres. Il observe, mesure en poète, ressent en rêveur. Milan, Bologne, Florence, Naples, Rome. Chacune des villes lui offre sa nudité, sa vérité, un visage qui lui est propre, une haleine, une personnalité et un inconscient. Écrivain insatiable, il note tout tout le temps, sur la nappe des tables de restaurant, sur des bouts de papiers en vrac, ses impressions, ses rencontres, ses soirées à La Scala, ses jugements sur les habitants, ses enthousiasmes, ses déceptions.

Il s'agace du tempérament florentin auquel il préfère l'humeur milanaise, pourtant il découvre ébahi Florence, cette ville que Montaigne, le premier à avoir parcouru la péninsule, ne put connaître qu'en coup de vent, rencontre manquée qui ne dura pas plus de deux heures.

Les beautés, les éternités sont de tous côtés, à chaque coin de rue, à l'air libre, trop grandes, trop nombreuses pour une âme aussi sensible peut-être. A moins que ce ne soit la moiteur de la Toscane...

En sortant de la basilique Santa Croce, tombeau de Machiavel, Galilée ou Michel-Ange, comme Napoléon quittant les sanctuaires des pyramides, Stendhal est pris de vertiges. Les envoûtements de l'Italie semblent avoir eu raison de lui. Son cœur s'emballe. Il se sent emporté en-dessous de ses pas et au-dessus de son crâne, comme un abîme qui s'ouvre sur terre et dans le ciel. Il est désarçonné. De l'autre côté de la vie. Il traduira cette curieuse plénitude dans ses récits de voyage: " J'étais dans une sorte d'extase, par l'idée d'être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J'étais arrivé à ce point d'émotions où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, ce qu'on appelle des nerfs à Berlin; la vie étant épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber."

Ce vertige devant l'éternité deviendra un cas d'école. Les médecins l'appelleront Le Syndrome de Stendhal.

Idées de lecture: Rome, Naples et Florence, Stendhal, Gallimard, Folio, 1987
                             Je cherche l'Italie, Yannick Haenel, Gallimard, Folio, 2015

Photo de la basilique Santa Croce:


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