dimanche 29 juillet 2018

Le Tribunal des eaux

J'étais en terrasse plaza de la Virgen, sirotant une horchata de chufa, d'un côté de la cathédrale, laquelle s'offre avec tant d'éclat que l'on ne saurait dire alors si je me trouvais devant ou derrière sa nef. J'exerçais mon esprit en essayant de la concevoir dans sa totalité, mais toujours un morceau semblait excéder l'architecture, comme ces puzzles immenses qui, une fois finis, rient de nous voir, dépités, une pièce en trop dans la main dont on ne sait plus quoi faire.

Midi approchait, et je sentais une fébrilité grandir dans le pas des passants. On se rapprochait, on interrogeait, on préparait les appareils photo, on se faufilait, on grimpait sur la pointe des pieds.
Du bâtiment d'en face, les agents de l'ordre, au tricorne qui rappelle les heures franquistes et plus loin encore les vers de Garcia Lorca, portent à bout de bras des chaises qu'il viennent poser en rond devant la Porte des Apôtres. C'est le Tribunal des Eaux qui se prépare. Je demande au serveur des explications. Tous les jeudis midi, c'est le même rituel, ça ne dure jamais plus de cinq minutes. Et encore, il vise large!

Tous les jeudis midi depuis l'an 960. Dix siècles n'ont pas suffi pour perdre cette habitude. Il s'agit de l'institution juridique la plus vieille d'Europe. Elle s'était instaurée dans le temps pour régler les litiges concernant l'approvisionnement en eau de la huerta aux alentours de Valence.

Les douze coups sonnent. Les juges sortent sous le cagnard. Des applaudissements mort-nés: a-t-on affaire à un spectacle dont aujourd'hui seuls les touristes jouissent ou un véritable protocole juridique qu'il nous faudrait prendre le plus sérieusement du monde? Peut-on sans doute se poser la question. Car voilà des décennies qu'il n'y a plus le moindre problème quant à l'usage de l'eau. Mais, après tout, on ne sait jamais...
Un homme ouvre la cérémonie en valencien. Il demande à quiconque ayant subi un préjudice concernant leur champ d'application de se manifester. Il scande son appel une dizaine de fois. Naturellement, nul ne se manifeste plus.

Et la foule tout autour commence à se dissiper. Les vieux juges se risquent alors à un sourire ou deux, pas plus, pour les touristes; et tous se réfugient à l'ombre avant que le soleil ne se fasse plus insistant.

Il n'y a pas un jeudi depuis plus de mille ans où le tribunal ne s'est pas réuni, qu'il neige ou qu'il pleuve, ce qui est bien rare par là-bas...

Photo de la plaza de la Virgen, Valencia:


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