dimanche 15 juillet 2018

Montaigne à Ferrare

Voilà plusieurs semaines que Montaigne a quitté Paris. Il découvre peu à peu les merveilles d'Italie, donnant par son itinéraire l'élan du Grand Tour européen qui connaîtra ses grandes heures aux XVIIIe et XIXe siècles.

Invité par le duché, le philosophe entre alors dans Ferrare où il se plaît à errer, parmi les arcades et les ruelles ocres, "à sauts et à gambades."
Avant de repartir pour Rome, il souhaite rendre visite à Torquato Tasso, dit Le Tasse, plus grand poète de son temps, courtisan, excentrique dont le génie, comme toujours, côtoie la folie.

Pour avoir insulté le duc de Médicis, mais surtout pour ne jamais avoir su correspondre au monde dans lequel il est autant acclamé que décrié, Le Tasse est enfermé à l'Hôpital d'aliénés de Sainte-Anne.

Sa notoriété lui vaut le privilège d'être là un fou royal. Il y jouit de toutes les libertés, ne se voit refuser pas le moindre met, pas le moindre plaisir. On accepte la visite des gens du monde entier, princes et rois. Tous dans l'attente que ses débordements finissent par le quitter.
Novembre 1580, Montaigne rencontre le gentilhomme dont chaque geste, chaque mot traduit quelque chose de son désordre intime. La scène sera représentée, décrite, commentée bien des fois.

Le registre de l'hôpital ne garde pourtant nulle trace de pareille visite. Et même Montaigne n'en dit un seul mot dans ses carnets de voyage. Comme si la vision de la folie devait être tue. Dite par des chemins de traverse.
Seules quelques pages des Essais sur la folie et d'un obscur poète italien qui n'est pas nommé demeurent: "J'eux plus de despit que de compassion de le veoir à Ferrare en si piteux estat survivant à soy mesme, mescoignoissant et soy et ses ouvrages."

A la fin de l'année, une nouvelle version de La Jérusalem Libérée paraîtra, rapprochant Le Tasse un peu plus de Homère.
Il sera lui-même libéré et commencera une sorte d'errance courtisane, contenant tant bien que mal ses accès de folie intempestifs.
Vingt années au cours desquelles il ne connaîtra plus l'éclat de son génie.

Le pape Clément VIII souhaite pourtant le consacrer "Roi des poètes" en souvenir de sa gloire passée. Le Tasse mourra, quelques jours trop tôt, sur les chemins de Rome où il est appelé.

Photo prise au musée des Beaux-Arts de Lyon:

Le Tasse en prison visité par Montaigne, Fleury François Richard, 1821


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