dimanche 4 juin 2017

La ville au bout du monde

Du temps des colonies et des comptoirs, à l'époque où Arthur Rimbaud n'était plus poète mais trafiquant d'armes dans les profondeurs de l'Afrique, où enfin il lui a pris de se laisser mourir à l'hospice de la Conception, on disait que Marseille était une ville de passage, une ville que l'on traverse pour aller d'un monde à un autre, où l'on n'est plus tout à fait ici mais déjà là-bas, au loin. Or, qu'en est-il quand on se rend à Marseille pour elle-même et non pour un ailleurs vers lequel elle s'étire, eh bien, voilà: on a enfin l'impression d'être précisément au bout du monde.
Marseille, c'est précisément ceci: des confins tout près de chez nous. C'est l'Orient, sa douceur et sa violence, l'autre côté du globe, exaltant, déroutant. Et c'est pour cela qu'elle est si belle. Combien ici, non pas des poissonneries que l'on pourrait attendre en effet dans une ville portuaire, -et quelle ville portuaire!- mais des restaurants japonais, syriens et pakistanais? Combien de teterias, comme on dit à Grenade, et autres tavernes, qui ressemblent à nos bars PMU et à nos cafés, mais qui sont en vérité des kafenia comme ceux qui peuplent les rues de Grèce, de Turquie et encore au-delà.
Bien sûr, Albert Londres disait que sur la Canebière, les chiens ne sont pas même des tigres. Et il est vrai aussi que l'architecture haussmanienne est passée ici et là, et qu'il n'y pas non plus de charmeurs de serpents ni de dresseurs d'ours, mais Marseille a son lot de saltimbanques et d'artistes de rues, ces vendeurs à la sauvette, ces oisifs qui travaillent plus que partout ailleurs et ces travailleurs qui prennent quand même le temps de vivre. Le si bel Orient commence ici, de ce côté-là de la Méditerranée.

"Je vous ferai connaître toutes les femmes, celles dont le voile prend au-dessous des yeux, celles au voile blanc, celles au voile noir; celles au bambou coupant leur front. En kimono, en pagne, drapées ou culottées. Vous sentirez se poser sur vous des regards dont vous n'avez encore nulle idée. Il y en aura de brûlants, de tranchants, d'insistants, de royaux, d'indéchiffrables. Vous verrez des femmes qui, lorsqu'elles marchent, font le bruit d'une vitrine de joaillier qui s'écroule, tellement elles sont, ces créatures, couvertes d'or, d'argent, d'ambre, d'ivoire et de verroteries." (Marseille, Porte du Sud, Albert Londres, Paris, Arléa, 2008)

Il y a le vent chargé de sable et de sel. On sent ici l'été plus qu'ailleurs, et je ne vais pas me risquer à parler de la lumière parce que l'on n'en finirait plus. Les mâts des voiliers qui dorment sur le vieux-port rappellent aussi les phalanges d'Alexandre dans sa course effrénée vers un versant du monde si éloigné du nôtre. Même le MUCEM, réussite incontestable de ces dernières années; se cache derrière un moucharabieh de béton, à la manière de ces belles d'Orient se prélassant dans leur gynécée, c'est dire!

On y vend des épices du monde entier, des dattes, des fruits exotiques et des fruits secs. Le souk d'ici est extraordinaire. Il s'appelle simplement le Marché des Capucins. On y boit le café tous les matins, sur les quais, devant Notre-Dame de la Garde qui veille sur la ville, les pêcheurs qui vendent à la criée leurs prises, mais détrompez-vous, ce café de là ou d'ailleurs, du Brésil ou d'Arabie, que l'on boit ici a fait le tour du monde avant d'être servi dans notre petite tasse. Lisez encore Albert Londres, il le disait déjà!

C'est comme ça, Marseille, un Orient provençal. Marseille, c'est un peu Téhéran, Beyrouth, Oran, Alger, Tunis, Tanger, Casablanca. C'est surtout Marseille. Une magnifique ruine sur laquelle le temps n'a plus d'emprise. Ah, elle est si proche de celle qu'elle a toujours été! Une magnifique ruine en effet comme il y a en tant en Italie là où demeurent les vestiges de son histoire, quand l'Italie, c'était justement cet empire gigantesque qui allait se fondre en Orient. Un souvenir passionné sur lequel on a peint à foison, de la même manière que l'on taguait jadis les rues de Rome. Allez errer sans but autour du Cours Julien, vous comprendrez!
Car Marseille est une ville authentique, vivante, généreuse, grouillante, conviviale si on prend la peine de l'accepter telle qu'elle. Inquiétante parfois, fascinante toujours, comme le sont souvent les villes portuaires: Gênes, Naples, Barcelone lui ressemblent mais Marseille est unique.
Parfois si l'on veut bien s'y perdre, elle nous donne la chance de nous découvrir, c'est ce qui arrive dans ces régions lointaines dont nous, Occidentaux, faute de comprendre, nous nous plaisons au moins à rêver.

"Faites le voyage de Marseille, jeunes gens de France; vous irez voire le phare. Il vous montrera un grand chemin que, sans doute, vous ne soupçonnez pas, et peut-être alors comprendrez-vous?"

Bonne adresse: Restaurant Le Moyen-Orient. 20 rue de la Paix-Marcel Paul, 13001 Marseille
                          + Le meilleur couscous est assurément à Marseille
                          + Le servie irréprochable
                          + L'accueil chaleureux
                          + Le thé à la menthe délicieux
                          + Les prix alléchants

Photos prise sur la terrasse du MUCEM




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