mercredi 3 avril 2024

Une Ballade des contradictions

 C'était la fin de l'hiver.

Journée pluvieuse, grise. Pour des raisons longues à expliquer, j'étais allé me perdre jusqu'à l'estuaire de la Gironde et je remontais péniblement des routes désertes et mornes jusqu'en bord de Seine.

Je m'étais arrêté pour la nuit, à quelques encablures de la Loire, au Grand Hôtel de Tour où j'avais logé dans le passé pour les oraux du CAPES de lettres modernes. J'avais été interrogé sur un texte de Ronsard dont j'avais vu la dernière demeure la veille au Prieuré Saint Cosme.

Puis j'avais repris mon rythme en remontant le fleuve. Je traversai la ville d'Amboise où je m'étais jadis recueilli sur la tombe de De Vinci. C'est dans cette ville royale que Charles d'Orléans laisse son âme fuir, en partant pour Poitiers. C'était la nuit du 4 au 5 janvier 1465. L'hiver. Il écrivait justement:

"Hyver, vous n'êtes qu'un vilain."

Il exhortait cette odieuse saison à l'exil. C'était de ces temps où l'hiver était encore rempli de cauchemars d'enfance, de terreur, de loups qui crient à la lune. Cet hiver "trop plein de neige, de vent, pluie et grésil."

C'est en exil, capturé, qu'il écrira l'ensemble de son œuvre. Azincourt, 1415, une défaite cuisante. La cavalerie française est écrasée. Il sera fait prisonnier vingt-cinq longues années. Il y a du Cervantès dans cette épreuve, après la bataille de Lépante. Philippe le Bon négocie sa libération. En 1440, il revient au pays. Et se retire à Blois, où il organisera, à l'instar d'un Laurent le Magnifique, une cour de poètes, de philosophes, d'érudits et d'artistes. Les troubadours côtoient les théologues, les astronomes fréquentent les astrologues, les chimistes et les alchimistes.

Engourdi de brumes, je franchis les portes du château de Blois. Un carnaval est interrompu à cause des orages, des danseuses attendent sous les arcades que le soleil fendent les nuages. Elles attendront en vain. Lointains souvenirs des montreurs d'ours des soirées du Prince.



On sait qu'à la fin décembre 1558, François Villon doit être dans les parages. C'est rare de savoir où il se trouve. Il est de ces êtres qui ont un temps d'avance sur leur propre existence. Il a connu tout ce que Paris, tout ce que le Moyen-âge proposaient alors de ténèbres. Il porte son lot d'ombres, de meurtres, de rapts. Il y a chez lui ce que l'on trouvera chez Salvator Rosa, chez Valentin de Boulogne, chez Rétif de la Bretonne. Du Caravage surtout.

Il écrit un poème pour la naissance de la fille de Charles d'Orléans. Et participe au concours lancé par le Prince. On en gardera le souvenir sous le nom de Ballade des Contradictions ou Ballade du concours de Blois.

"Je meurs de soif auprès de la fontaine."

Ce vers produit par Charles d'Orléans sans doute, en guise de consigne, je l'avais déjà lu quelque part: il a été gravé sur une pierre ordinaire en contrebas d'une citadelle du vertige en pays cathare. Château qui appartiennent à une autre époque...

"Chauld comme feu, et tremble dent à dent,

En mon païs suis en terre loingtaine..."

Puis je repris ma route. Quittant la Loire, rencontre le Loing et la Seine. En mon pays, en terre lointaine.




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