mardi 9 janvier 2024

Poétique de la nage

 Je le confesse, je suis un piètre nageur, et à choisir je préfère bien plus me trouver sur le quai ou la rive qu'au beau milieu des flots.

Je suis celui qui regarde. Dans l'eau parfois, mais rarement plus haut que les mollets, la taille dans les ondes les plus chaudes.

Des visions me reviennent. Une femme aimée, lentement s'éloigner jusqu'au barrage du lac de Paty, dont on dit qu'il est l'un des plus vieux de France, au pied du Mont Ventoux. Une chaude journée d'août. Cette même femme, dans une piscine qu'elle partageait avec une petite grenouille égarée, en contre-bas des falaises d'Orgon. C'était la nuit en Provence et les cigales venaient à peine de cesser.

Je revois mon père nager devant l'Hôtel des Princes, vieille bâtisse construite en 1806, quelque part entre Evian et Thonon-les-Bains. L'orage n'avait pas encore grondé. Le vent ne rasait pas encore le lac de près, il se contentait de le caresser. Il éclata le lendemain.


Devant nous, la ville de Lausanne gravissait en escalier la colline, et le soleil nous narguait de l'autre côté de la rive. Je repensais à Byron qui a dû traverser à la nage de nombreuses fois les rives du Léman à l'été 1816, cet été dont on dit qu'il fut sans jour. Un volcan de l'autre côté du monde n'y aurait pas été pour rien ou l'invocation de quelques spectres obscurs: les cauchemars ont été fertiles, dit-on, à la Villa Diodati, près de Genève. Mary Shelley fort inspirée en effet. Son époux justement perdra la vie au large des côtes toscanes, en 1822, avant que son corps ne vienne s'échouer à Lerici, où certaines pérégrinations dans le passé nous conduisirent, mon père et moi. Coïncidence des pas.



Paul Morand, Chantal Thomas en parleront mieux que moi, de la race des nageurs, l'Académicienne à Nice et à Arcachon, le diplomate (tout autant Académicien d'ailleurs) dans tous les océans du monde, avant de s'en servir comme encrier: Byron ne résiste jamais au désir de rapprocher les rivages.

Je l'imagine traverser le Grand Canal de Venise, le Tage ou le Détroit des Dardanelles, à la seule force de ses mouvements de brasse, sous l'ombre de Léandre, traversant l'Hellespont pour rejoindre Hero qui allume la torche d'une tour pour guider son amant, jusqu'au jour où un orage éteint la flamme et emporte le jeune homme. On dit qu'entre Sestos et Abydos le poète aurait mis à peine plus d'une heure en crawl. On ignore si Hero l'y attendait.

Toutefois, les témoins sont formels, un orage a bien grondé lors de sa mort, le 19 avril 1824, à Missolonghi. Le même que pour Léandre et Percy Shelley.

Quant au dernier fleuve, celui de l'autre monde, cela appartient à la légende, mais je me plais à croire que Charon, ce jour-là, se sentit de trop.

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