mardi 30 janvier 2024

Epuiser Madrid

A la fin de l'hiver, comme ces premiers bourgeons qui répandent leurs parfums dans l'âme, je me surprends à penser à l'Espagne. Madrid m'appelle. Me rappelle à l'ordre. J'écoute alors Albéniz, relit Hemingway ou Montherlant et épluche les hôtels le long de la Gran Via.

Il arrive très souvent au printemps, lors de ces longs week-end d'avril ou de mai, que j'arpente de long en large l'avenue, j'y suis projeté dans de lointains souvenirs bien confus aujourd'hui. Alors je tue le temps au Casino, dernière étage, aux tables de jeux, m'imaginant Dostoïevski au coude à coude avec le monde, tous suspendus à la bille qui rebondit. Le rouge et le noir n'alternent jamais comme on le souhaite. Des gains, des pertes. Dilapidés de la même manière.


Les nuits, les vermouths, la pluie parfois, des aurores. J'y ai pourfendu l'existence à ma manière.

Tavernes, boui-boui, où manger sur le pouce des tapas sous des photographies de Manolete, se frayer un chemin dans la foule, une nuit brûlante de la Semaine Sainte. Des inconnus. Des solitaires, des solitudes. Des ruines égyptiennes aussi. Guernica bien sûr. Des bains maures. Des cafés con leche, quelquefois. Des langueurs, des fulgurances.

Parfois une apparition: une femme vêtue de rouge. Robe en satin, du moins je l'imagine ainsi. Ou un velours noir. Les mêmes couleurs que la muleta et le pelage du taureau. Le rimmel qui a coulé comme dans les toiles du Rosso, un parfum d'alcools et de cigarettes. Une haleine de braise refroidie.



Ava Gardner épuise Madrid. Les nuits y sont blanches. Elle traverse la rue, elle est poursuivie par des paparazzis. Dolce Vita. Movida. Elle découvre l'Espagne lors du tournage de Pandora. D'abord Tossa de Mar, avril 1950. Un pays sous dictature, des fêtes partout où elle passe. Il suffit de connaître les lieux. Tout est affaire de secrets. Paris sous l'Occupation c'est la même chose. La Prohibition au lendemain du Grand Krach aussi. Elle imagine les applaudissements, esquive une voiture puis une deuxième. Una Veronica, una Natural, Olé! Antoine Blondin, à la même époque, réalise ses faenas sur le bitume du Boulevard Saint-Germain. Leur taux d'alcoolémie se vaut.

La chambre au Hilton est un nid d'espions. Tout le beau monde s'y trouve, le demi-monde et le reste. Elle se lasse de tout, enchaîne les hommes, les bars. Miguel Dominguin s'y blesse plus que dans l'arène. Rien n'arrête la comtesse aux pieds nus.



Midi en plein minuit. Elle se retrouve entre 3 heures et 4 heures, du matin s'entend, au San Gines, la chocolaterie n'y ferme jamais, je suis allé vérifié, réveil de circonstances. J'aime les mouvements perpétuels. Le matin la tête à l'envers. Une petite idée au Prado, le Jérôme Bosch, un avant-goût. Des bavardages, des cris, des tertulias jusqu'à point d'heure. Des greguerias. Des sortes de haïku à hauteur de passant.

Ava n'est certes qu'une apparition, mais elle y laisse son empreinte.

Mieux, comme tous les fantômes: son aura.


Bibliographie

-Les Nuits d'Ava, Thierry Froger, Acte Sud

-Ava Gardner, la comtesse aux pieds nus, Irina de Chikoff. Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/actualite/2006/07/17/01001-20060717ARTWWW90328-ava_gardner_la_comtesse_aux_pieds_nus.php





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