mardi 6 février 2024

Lisbonne, voyage sans mouvement

 Pessoa a laissé pour l'éternité cette curieuse autobiographie sans événement qu'est son Livre de l'Intranquillité. Ce n'est qu'après coup que je me suis rendu compte que Lisbonne, où il avait une vie durant accumulé les papiers, avait été pour moi un étrange voyage immobile.

L'Océan y portait ses flux jusque sur les rives de la Praça do Comércio, le ressac rythmait les jours. La lumière était celle des confins, celle que l'on voit se faufiler entre la Tour Saint-Nicholas et la Tour de la Chaîne à la Rochelle.

On monte et descend quelques escaliers piranésiens, on se pose parfois non loin d'un kiosques pour laisser l'éternité s'écouler lentement. Il est toujours un peu midi dans de telles terres. On prend l'Electrico 28, pour le seul plaisir des cahots, des grincements. Terminus. Puis retour. Un voyage qui n'a de sens que pour lui-même, la destination devenue superflue. Je me souviens qu'enfant, en compagnie de ma grand-mère, j'adorais prendre le tramway de Saint-Etienne, petite ville qui compte elle aussi sept collines, pour remonter et redescendre la Grand-Rue, des Nouvelles Galeries au kiosque à musique de la Place Marengo, bercé par les tremblements du rail. Comme je le suis aujourd'hui par les allers-retours du temps.



Puis on grandit, et on reste toujours un peu le même.

A Lisbonne, j'ai pris le ferry pour m'en aller de l'autre côté du Tage, avec cette éternelle envie de vérifier ce qui se cache derrière l'horizon. On n'est jamais surpris, mais le détour en vaut la peine. Des soirs comme on en trouve dans les villes au bord du monde, en équilibre entre terre et mer.



Les nuits furent lentes, le sommeil éloigné. Longuement impassible dans l'obscurité. Les rêves en attente. Et les pas dès l'aube qui laissent le promeneur tourner en rond. Tout d'un coup l'horizon dégagé: les voûtes du Convento do Carmo s'ouvrent sur le ciel. On y pénètre, tremblant, sans jamais être ailleurs que dehors. Et l'on se demande alors quel seuil on a franchi.



L'Eglise a été détruite lors du séisme de novembre 1755, ce désastre qui avait eu tant de répercussion. Voltaire en parle. Leibniz aussi. Le monde entier ébranlé par la secousse lusitanienne. Tout est détruit. Puis le tsunami. Cent mille morts sans doute. On repense à l'Indonésie en 2004. Au Japon en 2011.

Les ruines sur la colline du Chiado rappellent la constance des catastrophes. La permanence de l'impermanence. 

Août 1988, le quartier est pris d'un terrible incendie. De nouveaux les villes en flammes ressurgissent des manuels d'histoire. Moscou, 1812. Londres 1666. Je ferai un jour la liste complète du Grand Incendie du Monde. Les reconstructions du Marquis de Pombal au lendemain du séisme sont anéanties. Châteaux de sables si vite dissipés. Et de nouveau tout à recommencer. Tant de chemins parcourus. Au même point cependant. Les siècles réduits à une seconde d'éternité.





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