Alors que je longeais la Seine, dans quelque Septentrion un peu triste, j'entendis le piaillement tonitruant d'un essaim de perruches durablement installé dans un arbre de l'île Saint-Etienne. Ces perruches m'ont projeté plusieurs centaines de kilomètres plus au Sud. Dans le Grand Midi catalan où ces oiseaux d'un vert profond se partagent avec les chauves-souris le ciel bleu acier d'octobre, se faufilant sous la voûte de l'Arc de Triomf de la Ciutadella.
J'ai souvent hanté Barcelone, dois-je reconnaître. Remonté le fleuve Rambla, couru à la recherche d'un téléphone portable que l'on m'aura dérobé un soir de réveillon. Je fus saisi d'admiration devant les fresques romanes des petites chapelles de l'arrière-pays reconstituées au Musée de la Catalogne. Tournicoté dans le labyrinthe d'Horta. Me suis éternisé au Quimet d'Horta, parmi les petites bouteilles d'alcools et les jambons.
J'y étais très heureux. Tout autant abattu par des chagrins intenses. J'ai accordé mon temps aux artistes de rues, écouté Chan Chan ici, ou Bizet ou Puccini, non loin de la Seu, par cette cantatrice ukrainienne ou ce jeune informaticien marocain. Ceux qui y ont séjourné suffisamment longtemps les connaissent.
Combien d'heures à ravalear? Comprendre: errer dans le Raval, flâner l'air de rien dans la Rue des Voleurs, siroter une absinthe au Marsella, des chupitos à La Rouge un soir de flamenco, tourner à droite puis à gauche, rebrousser chemin, pour saisir les caprices de la ville. Jusqu'à la mer, cette mer bleu nuit que l'on aperçoit du Tibidabo un soir de janvier, cette mer bleu incandescent tout en haut du Parc Güell.
Agrippé par les regards troublants des hétaïres, esquivant les caddies des ferrailleurs, pleins de trésors rouillés, observé par les gargouilles du Born aussi qui indiquaient aux marins et aux voyageurs des temps jadis qu'une maison se trouvait tout près... La rue d'Avignon évidemment où Picasso... La Diagonale, et ses cabarets interlopes, où Genet, mais aussi Bataille bien sûr... On dit que le trottoir ici et là conserve l'empreinte des talons, où les grues ont fait leur cent pas...
J'ai déchiffré les inscriptions talmudiques du Call, les noms sur les murs de la Pepita, dans une autre vie, lu les lignes en fer forgé des balcons et, comme à travers un aquarium, par-delà les vitres d'un taxi, à toute allure dans la nuit, vu défiler l'ondulation des immeubles art nouveau, pour me rendre à Sants, où le désert andalou, l'aridité de la Castille, parfois m'attendaient.
C'est à tout cela, et bien plus encore, que je pensais au bord de la Seine, dans le hurlement des perruches.
Il m'arrive les jours de désœuvrement d'imaginer écrire, enfin, après tout ce temps, un guide de Barcelone à l'usage des égarés, tout rempli d'adresses secrètes, de fulgurances et de souvenirs...
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