De l'autre côté de la Méditerranée, une petite ville timide, cependant reconnue depuis toujours pour la force de ses vents, qui a fasciné Charlemagne et son armée fatiguée, de laquelle seul le gringalet Aymerillot se sentit la bravoure de partir à l'assaut: "Le lendemain Aymery prit la ville" conclut Victor Hugo dans La Légende des Siècles; petite ville pourtant qui fut grande jadis, à l'époque de Rome: Narbonne.
Hiver 1996-1997. La municipalité lance le projet de réaménager la place de l'Hôtel de Ville, carrefour rythmé par les va-et-vient des automobiles entre le grand magasin Aux Dames de France et l'extraordinaire Palais des Archevêques qui jouxte la cathédrale. La mairie profite de ce chantier pour assainir de vieux égouts datant de l'Antiquité, en contre-bas de la Tour Aycelin, tout en verticalité, à la différence du Palais des Papes d'Avignon, par exemple, qui se déploie à l'horizontal, si bien que Pierre Sansot parlera non pas d'un palais médiéval mais d'une falaise écrasante qui rapetisserait le plus grand des hommes.
Les pelleteuses s'affairent dans la rumeur ordinaire des rues que l'on remue, quand -stupeur!- les ouvriers découvrent, sous le sol de l'Hôtel de Ville, une dalle romaine. On arrête tout. Les ingénieurs se réunissent, conseillers municipaux et spécialistes se concertent. Il faut prendre une décision. On a redécouvert une voie romaine qui traverse en son cœur celle qui fut la capitale de la Gaule romaine. C'était prévisible, pourtant. Les historiens ne sont pas vraiment étonnés. On avait même connaissance de cette route au dix-neuvième siècle, et puis la cité était un carrefour routier majeur au première siècle. Mais petite amnésie collective sans doute.
Sous les pavés, la Via Domitia, entre l'Espagne et l'Italie, patientait, comme un fleuve asséché. Rome était là, si près de nous, si loin du Latium, qui se rappelait au souvenir de tous. Sous nos pieds, 2000 ans.
Et maintenant, que faire? Tout recouvrir pour préserver l'antique vestige? Le reconstituer dans le cadre d'une exposition exceptionnelle? On se concerte encore, on débat, le temps presse, il faut décider, on repense le budget. On n'échappe jamais tout à fait à l'Empire romain.
On se fait même à l'idée, cette fois, pour de bon que décidément Tous les chemins mènent à Rome.
Il sera enfin décidé de repenser intégralement la piétonisation du cœur de ville et de dessiner un nouveau forum par-delà les siècles, où dans l'espace réduit d'un carré -templum de lointains augures?- la Via Domitia nous fait un dernier clin d’œil.
Idées de lecture:
-Pierre Sansot, Narbonne, ville ouverte, Fata Morgana, 2000
-Jacques Ibanès, Le Promeneur narbonnais, L'an demain, 2015
Photo de la Via Domitia, Narbonne:
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