vendredi 1 mai 2020

Après une lecture de Dante

1837. Le pianiste Franz Liszt et son amante Marie d'Agoult partent sur les routes. Ils se perdront dans les brumes, à Côme puis à Bellagio, sur les rives du lac. L'artiste se baigne des arts italiens dont il a toujours rêvé. Et les sommets au large l'impressionnent moins que les fresques à l'intérieur de la cathédrale.



Les deux amants s'aiment. Liszt écrit ses Années de pèlerinage. Leur exil durera plusieurs mois, lors desquels il mettra son âme au diapason de l'eau.


            A Bellagio, un jour de pluie battante, Liszt, face à une statue représentant Dante et Béatrice trouve l'inspiration. Il composera les premières notes de sa Fantasia quasi Sonata intitulée Après une lecture de Dante, reprenant le titre d'un poème de Victor Hugo composé le 6 août 1836 :

Quand le poète peint l’enfer, il peint sa vie :
Sa vie, ombre qui fuit de spectres poursuivie ;
Forêt mystérieuse où ses pas effrayés
S’égarent à tâtons hors des chemins frayés ;
Noir voyage obstrué de rencontres difformes ;
Spirale aux bords douteux, aux profondeurs énormes,
Dont les cercles hideux vont toujours plus avant
Dans une ombre où se meut l’enfer vague et vivant !
Cette rampe se perd dans la brume indécise ;

Au bas de chaque marche une plainte est assise,
Et l’on y voit passer avec un faible bruit
Des grincements de dents blancs dans la sombre nuit.
Là sont les visions, les rêves, les chimères ;
Les yeux que la douleur change en sources amères,
L’amour, couple enlacé, triste, et toujours brûlant,
Qui dans un tourbillon passe une plaie au flanc ;
Dans un coin la vengeance et la faim, sœurs impies,
Sur un crâne rongé côte à côte accroupies ;
Puis la pâle misère au sourire appauvri ;
L’ambition, l’orgueil, de soi-même nourri,
Et la luxure immonde, et l’avarice infâme,
Tous les manteaux de plomb dont peut se charger l’âme !
Plus loin, la lâcheté, la peur, la trahison
Offrant des clefs à vendre et goûtant du poison ;
Et puis, plus bas encore, et tout au fond du gouffre,
Le masque grimaçant de la Haine qui souffre !

Oui, c’est bien là la vie, ô poète inspiré,
Et son chemin brumeux d’obstacles encombré.
Mais, pour que rien n’y manque, en cette route étroite
Vous nous montrez toujours debout à votre droite
Le génie au front calme, aux yeux pleins de rayons,
Le Virgile serein qui dit : Continuons !



            Liszt reviendra bouleversé par les paysages de l'Italie du Nord. Il continuera de travailler, d'écrire, de composer. Il mettra plus de vingt ans à terminer sa Fantasia, qu'il traînera avec lui comme un souvenir de la brume au-dessus des montagnes de Côme.


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