En 1932, paraît l'un des derniers grands textes relatant un voyage d'Italie, que les artistes de la fin de la Renaissance avait démocratisé: Le Voyage du Condottiere d'André Suarès, livre d'histoire, essai métaphysique, journal, ouvrage mosaïque dans lequel chaque ville trouve un visage, une démarche, un sourire, une grimace parfois.
Une ville retient particulièrement son attention, une ville faite femme, comme il l'écrira, à laquelle il écrit lettre sur lettre, enflammées, passionnées. Il erre dans ces ruelles qui toutes conduisent au cœur du monde, le Campo, dans la droite ligne de l'alignement des astres, le point critique, la crête où tout s'équilibre, le secret des secrets, si la ville est féminine dans sa chair, comme il le dit:
"C'est la conque d'Aphrodite ou le bénitier de Marie: elle est rose sous la lune, et partagée en longs pétales de marbre. Immense et déserte à cette heure, elle est tout à moi comme au silence. Son ovale exquis, à la suave pente, est le sexe brûlant et clos de l'adorable ville. Voilà bien le Campo, la plus belle des places en Italie, toute bordée de palais rouges: et le plus vaste, le plus hardi de tous, qui en occupe tout un côté, est le palais de la République. Le doux ventre de la place s'incline avec langueur vers le palais illustre. Et lancé au fond du ciel, cherchant la lune, la plus ravissante et la plus haute des tours se dresse d'un seul jet, si robuste et si fin, si fort et si léger qu'il est l'essor d'un seul lys rose à la corolle de neige, le beffroi de Sienne, un lys qui serait une flèche."
"Enfin, je vous ai vue, ma fiancée toute vierge et toute passion. Enfin je vous ai trouvée, ô ville tant cherchée, et vous m'avez accueilli, comme si vous m'eussiez attendu, comme si vous m'aviez souhaité. Un soir de printemps, le dernier entre mai l’œillet et juin la rose, à la fin d'une journée ardente, je suis entré dans la ville rouge, qui se retranche et se dresse sur un socle de terre chaude, pétrie dans le sang et veinée d'or. Le désert m'a porté jusqu'à vous, oasis. Avant de passer le seuil de Sienne, qu'on vienne du sud ou du nord, on chemine dans une vallée lunaire; les longs cierges noirs des cyprès veillent éteints sur les cendres, les uns en files de deuil, les autres en cercle, formant un concile pensif; et les sables gris ondulent sous le ciel comme des dos d'éléphants qui marchent sous terre, ne laissant affleurer que leur échine."
Photo de Sienne:
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