Il est intéressant de voir comment une patrie adoptée plus par nécessité que par envie peut finir par devenir nôtre. Cela n'a rien d'un processus de révélation éclatante; plus un constat porté par ceux, étrangers, qui nous écoutent décrire, supposément trivialement, le supposé simple lieu de notre habitation. Derrière ce qui peut au départ être une habitude du cœur, s'ajoute un goût personnel pour l'image dans sa complexité. Nos villes, et c'est bien la plus grande tristesse du poète contemporain, ne se font jamais plus ex nihilo, et là voient alors s'exprimer les traces de toutes ces villes qu'elles ont construites. Le détail et le choix en matière d'histoires étant mesquins, une mosaïque de destin s'offre à la curiosité et finit par gagner une place dans l'esprit le plus récalcitrant.
Ainsi, cette artère dont les commerçants sont depuis trop longtemps désagréables me touche par l'étymologie de son nom et l'idée d'un monde autre, aux usages d'hier où l'on vivait au quotidien avec la rivière et avec une politesse décuplée m'émeut et achète ma faveur. Il y a la magie du saule et de ses congénères dans le jardin public, où une perspective suffit à me faire taire et voyager un siècle plus tôt. Assise sur un banc, je vois les dames déambuler dans le calme d'une autre vie, les angles qu'ouvrait cet autre monde. Une porte m'est ainsi ouverte, inconsciemment, et j'en suis profondément reconnaissante.
Et puis, après quelques efforts, il y a la vue des collines et l'imagination s'associe à la lecture de quelques études d'autres amateurs du passé; et voilà que mon regard conspire sans aucun sérieux scientifique à la recherche de l'implantation éventuelle de quelques communautés d'Antiquité.
Finalement on finit par aimer une patrie pour ce qu'elle a forgé notre caractère: un amour dissolu et une jubilation pour le passage conservé des hauts et plus petits faits des autres, mais surtout le soulagement de voir que le monde est infini d'intérêt.
Pau. M
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