lundi 24 avril 2023

Les pampilles de Séville

 Un an déjà. Seul dans Séville pour la Feria. La moiteur qui appesantit les choses. Des mélodies de guitares au loin. Et les clameurs matins et soirs qui viennent des arènes.


J'errais dans les ruelles de Santa Cruz, avec en tête des airs bohémiens, saisi par l'intuition que de la moindre venelle pouvait sortir une carmencita, fleur dans les cheveux d'ébènes, avec "des reflets bleus comme l'aile d'un corbeau, longs et luisants", écrit Prosper Mérimée.



Les oranges trop mûres sont écrasées au sol et répandent des parfums d'Orient, on entend parfois le hennissement des chevaux aux larges franges et pampilles. On se prépare pour la Feria, on s'embrasse, les hommes en costume noir, les femmes enveloppées de mantilles, la robe à pois bien serrée à leurs hanches. Parfois des talons claquent sur un parquet, des mains s'entrechoquent. On verse ici et là des tintos de verano, Xérès, quelques vieillards sont encore au vermouth.



On se presse, Roca Rey affronte les taureaux en fin d'après-midi. déjà aperçu à Arles, Nîmes, Pampelune. le ciel noircit, l'orage germe au-dessus de l'arène. Le déluge s'abat sur Séville au moment de la faena. Corrida dantesque qui m'a rappelé ces pages de Dieu ne finit pas de Michon, sur Goya:

"Sous la confusion d'un ciel pluvieux du mois de mars de sa vingtième année, il se contenta d'observer ce petit gâchis si juste, si conforme à la Création bâclée: il pleut ce jour-là sur Fuentodos sur le poil noir fumant, les naseaux mous; les pattes incommodes ploient, la boue jaillit; quelque chose souffre, c'est peut-être aussi bien le ciel en sa pluie que la bête et son matador, qui de tout l'avant-bras essuie les sourcils pour y voir clair et estoquer; pas de soleil surgi pour la mise à mort, pas de rafales accrues, seulement quelque chose qui coule un peu comme dans une toile mal peinte qu'on sabote à plaisir. Et autour de ce monceau de viande noire ruinée, sabotée  à plaisir, lourds et flous, les joues bleus, conçus à la va-vite dans des copulations de grange, des paysans aragonais poussent dans la pluie des jurons ternes et ravis, dansent une gigue d'avant le déluge, tout gris sauf sur l'épaule de l'un de cet écarlate, la muleta qui déteint. On ne torée pas sous la pluie, Madame?"


Ben voyons, le toreo a retiré ses chaussons pour mieux adhérer au sable trempé et a combattu sous la clameur de la foule devenue noire par les faisceaux de parapluies.

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