mercredi 5 novembre 2025

Narbonne comme à la maison

        Halloween approchait et les rues de Narbonne s’imprégnaient délicatement de nuit et d’hiver. Le vent s’en donnait à cœur joie, toujours soucieux d’avoir le dernier mot. La Méditerranée en octobre, quoi !

Je me souviens de ces cris d’enfants, rue de l’Ancien Courrier, alors que mon grand-oncle venait de jeter par la fenêtre tous les bonbons réclamés trop fréquemment à son goût ce soir-là, et que tous se sont précipités pour les ramasser, comme courent et crient les enfants, au lieu de sonner à la porte. J’avais moi-même un jour jeté par cette même fenêtre son paquet de cigarettes qu’il fumait les unes après les autres, au risque de sa santé, en alignant les parties d’échecs ou de belotte, au glas des cris d’adultes cette fois, devant cette sollicitude qui passa, j’imagine, pour une facétie de gamin et un odieux gaspillage. Je ne devais pas avoir dix ans. C’était hier.



            Presque vingt ans plus tard, d’autres enfants n’ont pas manqué de revenir sonner à la porte de l’illustre bijouterie, dans cette rue où Jean Eustache a tourné le dernier plan sublime du Père Noël a les yeux bleus. Et nous leur donnions tristement quelques friandises. Et ces gosses, petits vampires et frêles momies, nous remerciaient sans se douter que nous veillions ma grande-tante qu’un AVC avait terrassée. Nous mettions, entourés des nôtres, un pied dans le monde des morts, que ces gourmands garnements tentaient de singer.



            Dans l’ombre de cette cathédrale compliquée qui domine les étangs et les vignes de la Narbonnaise, inquiétante de nuit, nous étions somnolents, je lisais quelque ouvrage obscur sur les cathares, rêvassant de Quéribus et de Montségur, dans une chambre de l’hôtel la Résidence, celle qui offre un balcon au-dessus de l’entrée principale, d’où l’on aperçoit un immeuble haussmannien, tout volet clos. On raconte que dans ces appartements un esthète collectionne d’inestimables livres qu’il protège des méfaits de la lumière.

            Nous avions du sel plein les cheveux et des embruns des routes lacustres cristallisés sur les cils, quand nous entendîmes une étrange agitation au rez-de-chaussée : quelqu’un semble courir dans le hall et retentit le cri étouffé d’une femme. Je descendis au débotté, pour rencontrer l’employée affolée.

« Tout va bien ?

-Non, non, on nous a dévalisé la caisse ! »

            Un peu confus, alors qu’elle téléphonait au commissariat de police, je me dirigeai, toujours en chaussettes, pour voir si j’apercevais le coupable dans les rues anuitées (l’espagnol, qui avance ici sa corne, aurait dit anochada.) En vain, bien entendu. Seulement le vent. Les volets clos de l’immeuble haussmannien où doit dormir l’esthète-lecteur, face à moi.

« Je l’ai aperçu sur les images de vidéosurveillance ! Il a été filmé ! »

            Je tentai de la rassurer et remontai somnoler dans la chambre, avec des pages d’Agatha Christie plein la tête.

 

         J’y avais souvent logé, fallait-il préciser. J’étais un peu chez moi, ici et là, dans diverses chambres de l’établissement. J’y ai lu, rêvé, paressé, me suis quelquefois éternisé, le plus souvent seul. Narbonne était tantôt le but du voyage, tantôt une étape vers l’Espagne. Barcelone, Madrid ou Cordoue m’attendaient. Je prenais simplement de l’élan, le long des Quais de la Robine, qui rejoint le chef-d’œuvre d’ingénierie de Pierre-Paul Riquet.

            Le matin, dans la salle du petit-déjeuner aux tomettes provençales, de cet ocre que l’on trouve dans tout le Midi de la France, j’écrivais, je fomentais l’escapade catalane ou andalouse.

            L’hôtel La Résidence fut fondé en 1958 par Georges et Marie-Rose Aiguille. Mes grands-parents en ces temps-là étaient encore en Algérie, pour les quelques années qui leur restaient. L'endroit contient bien entendu son lot de deuils et d’amour. Des solitaires se sont donnés la mort, des couples se sont étreints, d’autres se sont quittés. Quelques illustres furent de passage : Luis Mariano, Jean-Paul Sartre, Jean Marais, François Mitterrand.

            Des écrivains en exil, sans doute, des espions peut-être, je me plais à le croire, l’imagination en de tels lieux n’a pas de borne. Un couple d’artistes japonais levés aux aurores chaque matin pour s’en aller peindre le Somail jusqu’au soir, comme Van Gogh se retirait aux alentours d’Arles, pour courir après la lumière du Rhône et de la Camargue.

Louis de Funès s’y est installé trois mois en 1967 pour le tournage du Petit Baigneur aux Cabanes-de-Fleury. On raconte qu’il mangeait dans sa chambre mais descendait parfois partager un verre avec Monsieur Georges Aiguille, qui connaissait, bien sûr, la réputation du bonhomme, ce clown qui faisait rire la France, qui riait pourtant lui-même si peu.

            Sur le livre d’or, l’artiste signa en partant : « Pour la première fois de ma vie, j’ai eu l’impression de ne pas rentrer à l’hôtel mais chez moi. »

            Et c’est vrai. Il est des villes, comme des auberges, où l’on n’est jamais tout à fait égaré. Où que l’on parte, il suffit d’y revenir. L’impression nous saisit alors que, ces lieux, on ne les a jamais quittés.




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