Au même titre que les orangers de Séville, les chemins de ronde de la Costa Brava ou les ponts de Venise, les fontaines de Rome valent à elles seules l'urgence d'un départ, quand la grisaille parisienne finit par vous peser et que vous êtes atteint, comme disait Théophile Gauthier, de la maladie du bleu dont le remède ne peut se trouver que tout autour de la Méditerranée.
2000, dit-on, 2000 petites sources éparpillées dans toute la ville. Et pour avoir connu la moiteur de son mois de juin, elles sont autant d'abreuvoirs pour le passant désaltéré sur le point de tomber d'inanition, un petit calmant à l'égard de ce syndrome de Stendhal qui touche par là-bas jusqu'au plus insensible des cœurs.
J'ai par le passé aperçu la fontaine de Trevi vidée de son eau, lors de travaux de restauration; et connu quelqu'un qui, ne pouvant y jeter comme le veut la tradition une piécette pour s'assurer un retour à Rome, ne put jamais tout à fait y revenir, ou du moins y retourna mais différent de la personne qu'elle était alors. J'ai rêvé comme beaucoup d'Anita Ekberg dans la nuit, se baignant à la manière de Diane dans le lac Nemi.
A l'aube, dans la solitude la plus complète j'ai écouté le ruissellement de l'eau Piazza Navona, sans pouvoir prendre partie dans la rivalité éternelle du Bernin et de Borromini. J'ai contemplé Sainte-Agnès et la personnification du Rio de Plata se protégeant devant ce qui paraît être l'écroulement imminent de l'église.
J'ai bu souvent à ces bouches d'eau fraîche. Déposant quelques gouttes délicatement sur le front et sur la nuque, presque à la manière d'un baptême.
Je rêve de cette Rome fantastique à l'heure des Caravage et des putains et des tavernes. Je revois par fulgurance Poussin réfléchir dans l'air chaud de l'été 1630 au sommet de la ville, face à la majestueuse Fontaine dell'Acqua Paola, dans le Janicule, non loin du parvis de l'église où Stendhal, à l'aube de ses cinquante ans, méditera sur les femmes de sa vie. J'imagine Valentin de Boulogne errer de taudis en taudis, avant de finir une nuit enivrée et plonger tout entier dans la fontaine du Babouin, où il attrapera vraisemblablement froid, avant de périr quelques jours plus tard.
Je rêve des fontaines de Rome.
Celles de la Piazza Farnese dont les bassins ont été récupérés dans les thermes de Caracalla. Celle du Triton. La fontaine des tortues, érigée en une nuit pour impressionner une femme. Des Naïades. La fontaine du livre. Du Maure. De Neptune. Bestiaire fascinant, mythologie faite de marbres et de rigoles, de pierres et de rivières.
Liszt ou Respighi ont essayé d'imiter leurs mélodies. Mais rien n'équivaut à la musique étrange de la vasque devant la Villa Medicis, faite de trois rythmes différents au gré du vent et du débordement de l'eau. On s'est posé à l'ombre des orangers, on a écouté longuement.
J'ai connu les fontaines de Rome. Les mouettes s'y ressourcent, les soirs d'été, pour nous rappeler que la mer est là, toute proche. J'en ai perdu certaines dans ma mémoire, retrouvé parfois quelques autres en songes.
Je rêve souvent des fontaines de Rome.
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