samedi 14 novembre 2020

La Vague

Eté 1869. Courbet s'installe à Etretat. Cette fois pour de bon. Quelque chose lui tient à cœur depuis longtemps. Il passe ses jours à contempler la mer, et les falaises s'y précipitant tout d'un bloc. Il calcule l'air, examine la lumière, autopsie l'horizon. Monet reprendra ces mêmes chemins, pour aiguiser son regard sur ces chatoiements gris et ocres. Courbet, lui, aiguise déjà son pinceau, il lutte contre les éléments, se jette, l'âme et le corps, dans la tempête ; c'est la mer s'écrasant contre la grève qui occupera tout son esprit. Se remettant au travail à chaque nouvelle écume. L'assaut de la peinture contre la lame. Il vise l'abstraction, le chaos, l'obscurité du mouvement. On est emporté dans la houle.

Monet, Soleil couchant à Etretat, 1883, Musée des Beaux-Arts de Nancy:



Maupassant écrira plus tard à propos de Courbet : « Dans une grande pièce nue, une gros homme graisseux et sale collait avec un couteau de cuisine des plaques de couleur blanche sur une grande toile nue. De temps en temps, il allait appuyer son visage contre la vitre et regardait la tempête. La mer venait de si près qu'elle semblait battre la maison, enveloppée d'écume et de bruit. L'eau salait frappait les carreaux comme un grêle et ruisselait sur les mers. »


Courbet, La Falaise d'Etretat après l'orage, 1870, Musée d'Orsay



« Or, cette œuvre devint la Vague et fit quelque bruit par le monde, conclut Maupassant. »

Un travail d'obsession. Un acharnement. Achab harponné au flanc de Moby Dick. Toute une série de toiles qui gravitent autour d'un même fracas. L'artiste toujours en chasse de la mer qui vient puis se retire. Courbet écrit justement à Victor Hugo: "La mer, la mer, avec ses charmes, m'attriste! Elle me fait dans sa joie l'effet du tigre qui rit, elle me rappelle les larmes du crocodile, et dans sa fureur le monstre en cage qui ne peut m'avaler."


Courbet, La Vague, 1869, MuMa Le Havre:




Dans La Falaise des Fous extraordinaire épopée de l'impressionnisme en Normandie, Patrick Grainville écrit: "Ses Vagues me subjuguèrent. Monet n'aurait pu ou voulu peindre un monde d'une puissance si violente, si noire. Courbet ne cherchait pas les milles déclinaisons, les fééries changeantes et contradictoires de son confrère. C'est la même tempête immémoriale qui charrie et propulse ses marbrures brisées et ses arceaux crochus de bestialité. La mer houleuse ou, comment dirais-je?... bouleuse, le ciel charriant de lourdes nuées d'un violet sombre jusqu'à la couleur des ténèbres. On était en 1869, Courbet sentait-il accourir les périls de la guerre et de la révolution qui devait la suivre? Ses vagues roulent du minéral broyé. Nulle transparence, nulle fluidité, mais la précipitation sur nous d'un vacarme de la matière hérissée, plissée, recourbée. Tonnerre de la vague dans ses différentes versions. Même grondement tellurique. L'écume n'est pas la mousse heureuse de Monet mais un gravier grenu, une rage de crinières caillouteuses. Un Cerbère dont la lave bouillonne en bouquets de mufles. Les barques sur le rivage sont des chaudrons noirs de Charon."




Idée de lecture: Patrick Grainville, La Falaise des Fous, Editions du Seuil, 2018

Courbet, La Vague, 1869, Musée des Beaux-Arts de Lyon:



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