lundi 25 novembre 2024

Effervescences napolitaines

 D' retourner est une évidence. D'en dire encore quelque chose. Un mot ou deux, rien de plus, pour garder une trace des vertiges qu'elle provoque. Naples. Elle éparpille en moi depuis une poignée d'année et une petite éternité des souvenirs.

Je me souviens des crânes en marbre disposés aux quatre coins du cloître de San Martino, des majoliques de Santa Chiara, des tapisseries des Gobelins qui représentent des scènes du Quichotte au Palazzo Reale et les somptueuses marqueteries de Sorrento.


Je me souviens des barques qui tanguent devant le Vésuve et ces familles qui s'y rassemblent, s'y entassent pour paresser au centre du monde, aux heures les plus dures de l'été.

Je me souviens du marbre gris de l'extraordinaire bâtiment fasciste de la Banco di Napoli, entraperçu des ruelles des Quartiers Espagnols, et de la fille d'attente de ces femmes qui désespèrent d'être mères devant la petite église Santa Maria Francesca delle Cinque Piaghe, superstition millénaire à laquelle je me rattache tout particulièrement ce matin.



Je me souviens des volumes de la Recherche du Temps perdu traduit en italien dans la bibliothèque du salon de l'hôtel Il Convento, en face de la petite église des femmes sans enfant.

Je me souviens du scintillement de la baie de Naples, juste après la Grande Albergo Vesuvio, un soir d'été avec une femme aimée, la Via Parthenope dévalant dans la nuit toute la courbe que formait la mer dans la nuit, jusqu'au bout du monde.



Je me souviens des chats qui erraient seuls dans les rues désertes de février à Ischia, des pêcheurs qui rafistolent et repeignent leur barque sur les quais de Procida, de l'odeur du cornet de glace qui chauffe dans une boulangerie de Capri, non loin des Jardins d'Auguste qui plongent droit dans "une eau de cristal où nagent des requins pleins de mélancolie" disait Bosco.

Je me souviens du funiculaire qui monte au sommet du Vésuve, et je crois même me souvenir du funiculaire du Vésuve, détruit en 1944, qui inspirera cette fameuse chanson Funiculi, Funicula.

Je me souviens des ruelles curieuses qui serpentent dans le Château de l'Œuf, du temps où il était encore facilement accessible, avant le Covid, et je me rappelle des pleurs de la Reine Jeanne, par-delà les siècles, incarcérée à la fin de l'été 1381, lors de l'invasion de la ville par Charles III.



Je me souviens des noces de Carlo Gesualdo, compositeur, et Maria d'Avalos dans l'Eglise San Domenico Maggiore et des longues festivités au Palais de San Severo en avril 1586, avant que l'époux trompé assassine l'épouse volage ainsi que l'amant une nuit d'octobre 1590.

Je me souviens avoir vu d'étranges lueurs provenant des fenêtres de ce même palais, quand nous soupçonnions tous les activités alchimiques du Prince Raimondo di Sangro, retrouvé empoisonné en 1771.



Je me souviens avoir entendu quelques notes fredonnées passant devant le Palazzo Barbaja de la Via Toledo, entendues de nouveau, emportées par tout l'orchestre au San Carlo, dans la loge jouxtant celle d'un petit diplomate français.

Je me souviens qu'elle fut une ville d'obscurités et de révélations, Naples, de musiques et de silences, de siècles superposés, de la mer allée avec la soleil, une ville d'éternité.

Je me souviens d'un helléniste français qui voyait dans le volcan l'œil d'un cyclope et dans l'incandescence des matins la lumière millénaire d'Ulysse.

Je me souviens de tout.

Je me souviens de Parthénope.




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