Cela ressemble à une engueulade. Des mains se lèvent, reviennent vers la poitrine, repartent vers le bas et l'une finit par tout envoyer valser. Les pieds dansent aussi un peu, miment un départ d'un côté, puis de l'autre, reculent et se réancrent au même endroit. Le meilleur indicateur reste le bruit: le ton monte et redescend à plusieurs reprises, accompagnant les mouvements de dérobade feinte ou l'appui des bras qui s'ouvrent pour en appeler au bon sens. J'imagine que de plus près on doit pouvoir entendre un ou deux basta. Mais mon imagination est vite entravée par ma méconnaissance de la langue et ici de ses interjections.
Je ne comprends pas ce qu'ils disent, cela me frustre un peu, mais en même temps, je n'ai pas envie d'en savoir plus. Pas besoin d'apprendre la langue, j'apprécie simplement la vue de ce trio napolitain. J'en fais une œuvre locale: la discussion encercle le pas de trois, chacun à sa place pour permettre que se tienne le petit concile bien rôdé. Un qui se tait, un qui s'emporte et un qui l'écoute. Le phénomène ne tient si l'un d'entre eux part, laissant un simple duo sans force. Je l'ai même vu une fois s'éteindre du départ de l'un et se relancer avec l'arrivée d'un autre. Cela fait partie des choses d'ici, de mon point de vue du moins.
Je ne pourrais pas dire avec beaucoup d'assurance que c'est là l'essence de Naples, je ne la connais encore que trop peu. Mais je l'ai appréciée, pour une chose qui se révèle décisive au fil des années: je n'avais pas ou peu d'images préfabriquées sur elle. Mon esprit ne m'avait pas encore joué son tour préféré quand il s'agit d'ailleurs: rêver, construire, s'ancrer dans une image anticipée ou un souvenir sublimé, me laissant déstabilisée une fois arrivée sur la terre dite. Mais c'est une histoire que je raconterai un autre jour.
Ne retenons ici qu'un honnête et ô combien agréable dépaysement face à une ville singulière qui me donna la sensation répétée d'être sur une île, nation propre et souveraine. Elle a le goût de la chaleur implacable et transpirante; du bicarbonate citronné; d'une âme croyante à admirer; d'une romanité qui se laisse apercevoir dans un musée immense et surtout l'attrait mystérieux d'une autre rive.
Elle a le goût du dépaysement, mais pas celui des conclusions hâtives. Nous la reverrons sans doute depuis un autre versant et je continuerai alors mon apprentissage au monde comme à l'amour: laisser s'ouvrir la possibilité de voir ses certitudes malmenées, son regard s'habituer à de nouvelles réalités, ses perspectives s'agrandir, et autoriser son cœur à y répondre, même lorsque le battement semble d'abord incorrect. Pour le meilleur.
Pau. M
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