Ils sont trois. Trois poètes que l'Espagne aura tués. "Trois poètes du sacrifice", comme les nommera Rafael Alberti.
Federico Garcia Lorca, exécuté non loin de Grenade, aux abords du ravin de Viznar, le premier d'entre eux. Plus d'un million suivront.
Miguel Hernandez, mort en 1942, à l'infirmerie de la prison d'Alicante. Tuberculose.
Antonio Machado, qui s'éteint en exil, à Collioure, tout près de son Espagne aimée.
Sacrifiés, terrassés par le franquisme.
Avec 500 000 autres réfugiés républicains, le poète est emporté dans le chaos de l'histoire. Le 24 novembre 1936, il doit fuir dans la précipitation Madrid. La cavale traversera les régions arides de la Castille. Puis la région de Valence et la Catalogne. Quelques jours à Barcelone. Sur le qui-vive. Poursuivi. Epuisé. Il traîne avec lui une pneumonie qui le ralentit. Le souffle coupé fuyant sa chère Espagne. Il perdra, voyageur traqué, plusieurs manuscrits sur les routes, au bord des chemins. Des vers, des mots, mais aussi tout le reste. Il se fraie un chemin, cortège maudit, à travers les Pyrénées, à bout de force. Il quitte l'Espagne, il trace son chemin comme un homme creuserait sa tombe...
Voyageur, le chemin
ce sont les traces de tes pas
c'est tout; voyageur
il n'y a pas de chemin,
le chemin se fait en marchant.
Le chemin se fait en marchant
et quand on tourne les yeux en arrière
on voit le sentier que jamais
on ne doit à nouveau fouler.
Voyageur, il n'est pas de chemin,
rien que sillages sur la mer.
Caminante, no hay camino.
Il n'y a plus de chemin. Jamais il ne reverra l'Espagne.
Il arrive enfin à Collioure, sur la côte Vermeille. S'éteignant lentement, loin de tout, si près pourtant, de l'autre côté des montagnes, il loge à l'hôtel Bougnol-Quintana.
26 jours. Il aura tenu 26 jours. Comme privé d'air. La vie s'en est allée de son être en même temps que l'Espagne qui l'habitait. L'agonie des exilés...
Il ne fera qu'une seule promenade, jusqu'au bord de mer, sans force.
26 jours où tout le village restera au chevet du grand poète espagnol. Jusqu'au 22 février.
On retrouvera dans une poche le dernier vers qu'il aura écrit: "Estos dias azules y este sol de infancia"
Aragon publie en mars 1939: "Le grand poète espagnol Antonio Machado est mort."
"Mais voici que nous sommes frappés d'une façon irréparable: de Collioure la nouvelle arrive. Le plus grand, l'aîné des chanteurs d'Espagne, celui dont le cante jondo venait du plus profond de la péninsule meurtrie, Antonio Machado est mort. Vraiment mort. De cette mort dont on ne ressuscite pas. Il a pu à peine atteindre la terre étrangère, chassé par la force ennemie, il a à peine quitté sa terre natale, que la vie l'a abandonné. Il n'a pas survécu à l'exil. Il n'a pas résisté à cet arrachement. Le poète déraciné s'est éteint dans la nuit française."
Tout le petit village de Collioure, aux premières loges de la nuit qui s'est abattue. Tout un monde endeuillé.
Aragon, de nouveau, écrira un poème à la mémoire du poète sacrifié.
Machado dort à Collioure
Trois pas suffirent hors d'Espagne
Que le ciel pour lui se fit lourd
Il s'assit dans cette campagne
Et ferma les yeux pour toujours.
La petite tombe où il repose est encore fleurie. On y vient déposer coquillages et pierres. Une boîte aux lettres, à côté, reçoit les souvenirs éparpillés de ceux que l'exil a vaincus, d'une certaine manière, fût-il à travers les siècles, par-delà les générations. On vient s'y recueillir. Poètes, exilés, passionnés s'y retrouvent.
J'y ai déposé un timbre que je gardais dans mon porte-feuille. Un timbre pour une lettre, jamais écrite, qui dit, j'imagine, tout ce que je n'aurais su dire.
Caminante, no hay camino.
Aucun chemin, rien que sillages sur la mer...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire