jeudi 13 février 2020

Perpignan, atelier de lumière

C'est en peintre consacré, vieillissant pourtant, que Picasso est invité à Perpignan, rue de l'Ange, chez monsieur et madame Jacques et Paule de Lanzerme. Il y effectuera plusieurs séjours entre l'année 1953 et 1955. C'est un peintre acclamé qui est accueilli dans la demeure, mais tout entier tiraillé par les affres d'une famille, la sienne, qu'il n'aura jamais su concilier avec son génie. Il fait d'abord venir sa fille Maya, qu'il a eu avec Marie-Thérèse Walter, lui Picasso qui hésitera toujours entre ces deux paternités: son oeuvre et sa descendance. C'est un peintre bousculé, épuisé par les complications de l'amour, par les coups bas et les rancœurs, pantin qui ne voit pas qu'il en est un, Pinocchio dans les mains des femmes de sa vie. Lors de son dernier séjour dans la ville catalane il devra même cohabiter avec deux de ses maîtresses.


Dans ce grand Midi il s'échappe parfois à Céret, à Collioure où Matisse avant lui avait changé la donne, il court les corridas du Sud de la France, reçoit de vieux amis, est reçu en retour, grappille des réminiscences de sa Catalogne, de son Espagne natale, de Barcelone à Malaga. Il arpente les ruelles du vieux centre, s'arrête parfois devant les nudités de Maillol, contemple la Méditerranée en bronze dans le patio de l'Hôtel de ville quand l'artiste s'était décidé à sonner à la porte de ce maître d'entre tous: Rodin.


Il vient parfois assister aux sardanes de la place d'Arago, et s'amuse de retrouver les habits traditionnels, dont il se parera lui aussi, pour amuser ses enfants.
C'est dans cet accoutrement ancestral qu'il peindra son hôte, Madame de Lanzerme. Ce portrait extraordinaire est aujourd'hui exposé au Musée Hyacinthe Rigaud, l'ancienne demeure reconvertie, rue de l'Ange.


Il peint, se repose de peindre puis reprend. Il accumule les esquisses, les brouillons. Préhistoire de chef-d’œuvres.


Avant lui, Raoul Dufy, dans les heures troubles de la défaite française, s'était réfugié à Perpignan, en convalescence, affaibli physiquement quand la nation était vaincue. Dans cet atelier, il multipliera les élans, les jets de peinture, les éclats de couleurs, la décennie entière.


D'une certaine manière, entre Maillol et Dufy, Picasso retrouve cet atelier de lumières, au pied du Canigou. Peut-être pense-t-il à quelques vers du poète catalan Verdaguer. Peut-être médite-t-il devant la lueur des cimes enneigées qui semblent là, tout près, à peine à la sortie de la ville.

Peut-être. Puis il se remet à peindre.

Idée lecture: Dominique Fernandez, Le Peintre abandonné, Grasset, 2019

Photo de la Loge de mer, Perpignan:




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