samedi 9 juin 2018

Bruges-la-Morte est morte

Petit poème à charge contre la Bruges des temps présents

Quel naïf ai-je été? Moi qui imaginais déjà découvrir l'une de ces grandes villes grises dont parlait Georges Rodenbach:
"il marchait sans but, à la dérive, d'un trottoir à l'autre, gagnait des quais proches, longeait le bord de l'eau, arrivait à des places symétriques, attristées d'une plainte d'arbres, s'enfonçait dans l'écheveau infini des rues grises.
Ah! toujours ce gris des rues de Bruges!"

Quel rêveur ai-je été? Moi qui pensais errer dans ces ruelles désertes toutes engourdies de brumes; dans le silence des canaux où le croassement d'un seul colvert fût plus bruyant que le tonnerre. 

Je me figurais une cité inquiétante, contrainte par la rigueur calfeutrée et sombre des béguinages. Je n'y ai vu que trop de clarté. Que trop de monde. La Bruges morte de Rodenbach, hélas, est morte pour de bon.
Elle devait être l'un de ces tombeaux de pierre où au détour d'un désespoir l'on croise une femme en tout point similaire à celle dont on porte le deuil, jusqu'à la lueur qui vacille parfois dans le regard.

Où est-il, le mystère? Le mystère de ces villes où bien qu'égaré on a l'étrange impression d'être au cœur des choses.

Et pourtant, d'une certaine manière j'y étais. J'ai voyagé, dans toute cette lucidité, plus loin encore dans l'ombre. Au sommet du beffroi, au gré d'une alcôve, d'une impasse qui serpente, ou d'une autre, je me suis laissé entraîner: j'ai rêvé de Bruges une nuit d'hiver, désertée, froide, plaintive. J'étais seul. Et elle était là, celle qui n'existe plus. Bruges-la-Morte, mais au fond qu'importe le nom.

Idée de lecture: Rodenbach, Bruges-la-Morte, Garnier-Flammarion

Photo de Bruges, fin avril.


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