jeudi 17 juillet 2025

Un certain 14 juillet au XVI° siècle

 "Il n'y a qu'une façon de conserver des événements, c'est d'en faire de l'histoire poétique."

(Stefan Zweig)


    Aujourd’hui, au moment où j’écris ces lignes, on fête le 14 juillet : parades militaires, fanfares, discours présidentiel diffusé à la télévision. 1789 à jamais célébré.

      Mais je n’oublie pas que le 14 juillet 1562, les troupes du Baron des Adrets, François de Beaumont, arrivés devant les portes de la ville la veille, le 13 juillet au matin, entrent dans Montbrison et saccagent tout ce qui se trouve à leur portée. 3000 à 4000 hommes tiennent le siège, après avoir traversé Feurs qui capitule le 5 juillet et toute la plaine du Forez, au niveau des portes de Moingt. Je crois entendre encore, accompagnant les clairons de ce jour révolutionnaire, les canons des huguenots bombardant les frêles remparts de la petite cité, dont il ne reste que de vieilles murailles et d’antiques murs qui escaladent la colline du Calvaire.



            Montbrison, cité catholique, n’offre guère de résistance, une poignée de gardes, peut-être des mercenaires aussi, trop peu préparés, encore moins suffisamment armés. Tout passe au fil de l’épée protestante, tous fuient, tous implorent, mais l’armée du Baron tombe en trombe comme un rapace sur sa proie. Ils pillent et incendient, ne manquent pas de violer les sépultures des Comtes du Forez de la Collégiale Notre-Dame, comme ils avaient déjà vandalisé la Cathédrale Saint-Jean et mis à sac la ville de Lyon. Assassinent prêtres et marguillier.

            François de Beaumont pose les gammes de la Blitzkrieg : on frappe dur et on ne s’éternise pas. Il cavale de siège en siège, multiplie les assauts et se retire, laissant derrière lui son lot de ruines. Agrippa d’Aubigné lui consacre quelques pages dans sa grande épopée du seizième siècle. C’est un mercenaire de la pire espèce, dit-on, un soudard qui se lance dans les guerres de religions moins pour défendre la sienne que pour le plaisir du combat. « Autant le craignait-on que la tempête qui passe par des grands champs de blé » écrit à son sujet Brantôme.

            La raison est un prétexte : des ministres protestants auraient été arrêtés dans le département, mais on sait bien que la guerre se passe allègrement de mobile.

            Anecdote cruelle : il organise, en ce jours du 14 juillet, des petites sauteries, pour ainsi dire, qui marqueront les mémoires. Il force les vaincus à se précipiter du haut des tours et des remparts de la ville. Si le donjon de Montbrison n’existe plus, bien des habitants évoquent encore, la voix tremblante, ces odieux sauts dans le vide.

            Vlad Tepes, le Comte Dracula, avait ses hallebardes pour empaler, le Baron n’a eu besoin qu’un peu d’altitude.

            Ces pauvres bougres contraints de se laisser tomber, ça impressionne, on en parle, on craint l’arrivée des mercenaires dans toute la plaine. Feurs hier, Montbrison aujourd’hui, aucune ville n’est à l’abri.


            Lors de cette attaque fulgurante, Loïs Papon est houspillé, humilié, roué de coups et fait prisonnier. Il était alors chanoine de Notre-Dame. Honoré d’Urfé s’en inspirera pour son personnage de druide, Adamas, dans son grand roman virgilien. Épris d’arts et de poésie, peintre miniaturiste, passionné de calligraphie, il réside le plus souvent au Château de Goutelas dont il fait un centre intellectuel de premier ordre dans la région, s’entourant d’écrivains et d’intellectuels. L’Arcadie humaniste, on la connaît, mais tout de même, ça ravit toujours le cœur.



            Il sera libéré contre rançon. Mais il subira de nouveau la violence des raids calvinistes. La demeure familiale sera incendiée en 1576. Que fait-il alors ? Comme tous les artistes, il prend sa revanche sur toutes ces injures par la composition. Il crée l’un des premiers opéras de France, la comédie-ballet, la Pastorelle, jouée pour la première fois le 27 février 1587 dans la salle héraldique, la Diana, qui avait déjà accueilli François I quelques années plus tôt. Il y exalte, entre deux romances de bergers, la victoire militaire des Catholiques sur leurs ennemis jurés. Onze acteurs pindarisent plusieurs heures durant, devant une salle comble, Papon parle même de plus de 3000 invités, non sans exagérer de toute évidence ; les décors éblouissent et un final pyrotechnique emporte les ovations. Plus grand monde ne parlera ensuite de La Pastorelle et de Loïs Papon. Comme quoi, l’histoire…



            Néanmoins, je pense au Rosso qui, humilié, torturé lors du sac de Rome de 1527, conjurera lui aussi, à sa manière, ses démons et ses traumatismes, à Fontainebleau dans la galerie commandée par ce grand roi du seizième siècle nommé plus haut.

 

            Montbrison dévastée, le Baron des Adrets reprend sa chasse terrible. Il suit les chemins qui mènent à la Loire que surplombe le château de Montrond, Loïs Papon d’ailleurs y sera oublié dans l’une ses geôles avant que sa rançon ne soit réglée. Pas bien de résistance non plus, mais qu’à cela ne tienne l’engeance paie leur dû aux ruines et tous détruisent ce qu’ils peuvent.

            Quelquefois à l’aube, alors que je me rendais à Saint-Galmier pour enseigner, sur cette même route que les troupes ont dû empruntée, je repensais à ses mercenaires huguenots marchant à pas rapide sur cette grande ligne qui strie la plaine et y laisse, l’air de rien, une grand balafre. 



Dessin de Serge Tziganov

  

Un certain 14 juillet au XVI° siècle

  "Il n'y a qu'une façon de conserver des événements, c'est d'en faire de l'histoire poétique." (Stefan Zweig)...