mercredi 21 août 2024

Valéry Larbaud, le Languedoc à l'âme.

 Au large de l'étang de Thau.

Nous avions roulé jusqu'en contre-bas de Bouzigues et dans le soir la brasucade répandait des odeurs d'océans et de coquillages. Entre les barques en rade et les filets de pêche, les planches de bois et les cordes, nous apercevions l'étang de Thau dominé par le Mont Saint-Clair.



L'espace d'un instant, je me suis surpris à revoir les bateaux à vapeur qui circulaient entre Balaruc, Mèze et Sète du temps où elle s'appelait encore Cette. Leurs sifflements et la fumée s'échappant des cheminées, le cliquetis des turbines m'évoquent les steamers de la compagne CGN qui naviguent aujourd'hui encore entre les rives du lac Léman et qui ont pour nom ravissants Simplon ou Savoie.

Le navire "La-Ville-de-Mèze" est de cette époque. Celle des transatlantiques, des orient-express, des premières malles Louis Vitton, des hôtels quand ils étaient des Grand-Hôtels. Les poèmes de A.O. Barnabooth ont tenté de saisir l'âme des ces décennies: 

"Et où que j'aille dans l'univers entier

Je rencontre toujours,

Hors de moi comme en moi,

L'inconquérable 

Rien."

Je revois sur le pont de ce vapeur Valéry Larbaud, l'auteur de ces poèmes, très souvent masqué par l'hétéronyme qui l'a précédé dans le monde. Il est ici, il observe les passagers, son journal en témoigne. Des dames à la Boldini, des moussaillons en herbe, des écrivains solitaires, peut-être un médecin russe qui compare l'étang de Thau à la Mer Noire. On est dans un roman de Stefan Zweig, peut-être d'Agatha  Christie: telle était la vie de Valéry Larbaud dont l'héritage littéraire est immense: Levet, Cendrars, Morand, Tesson, Frébourg.



Il passe les hivers dans le Languedoc, prend les eaux à Balaruc. Il n'apprécie guère Cette, mais y fait quelques allers-retours pour saisir une ou deux impressions fugaces. S'il est présent en cette journée de février 1914, à la proue du Ville-de-Mèze, c'est en vue d'écrire un roman. "Sans la préoccupation du livre", il n'aurait jamais eu l'idée de revenir à Mèze.

Mais c'est surtout Montpellier qui a ses faveurs. Elle est la ville de son cœur, de son âme. Il est Clapassien, surnom occitan de la cité, comme Stendhal était Milanais. De Vichy, il longe le Rhône et descend dans les ruelles de l'Ecusson: en octobre 1906, jusqu'en mars 1907, puis 1909, l'année d'après, hiver 1914, avril 1923, février 1930 et enfin 1935, un ultime accident cérébral le laissant immobile et aphasique. Je repense à cet écrivain-voyageur, interdit de vitesse et de verbe, marmonnant cette étrange litanie: "Bonsoir, les choses d'ici-bas."

A Montpellier, il séjourne à l'Hôtel de la Métropole, disparu; il court après les instants d'éternité, décrit les Trois Grâces de la Place de la Comédie ou la grande Terrasse du Peyrou, se perd dans les ruelles battues par le mistral de février; à la revue L'Âne d'Or qui marquera la vie littéraire de 1922 à 1926, de la librairie rue de l'Aiguillerie, disparue elle aussi, en publiant Max Jacob, Paul Valérie ou André Gide, il envoie des articles sur l'écrivain espagnol Ramon Gomez de la Serna ou encore des curieuses notes télégraphiques intitulées Septimanie, qui en sera l'heure de gloire. Il imagine Montpellier, "petite capitale secrète d'Europe", comme le centre d'une nouvelle Occitanie qui remonterait jusqu'à l'Allier. Il se perd en digressions, en pirouettes d'esprit, en monologues intérieurs sous l'ombre de James Joyce qu'il fera connaître en France.

Ses rêveries languedociennes lui inspirent Amants, heureux amants..., écrit en 1923. De la plage des Aresquiers, nous nous éternisons, j'aperçois, de l'autre côté des marécages, si loin le phare de la Méditerranée, l'orage approche, j'ouvre la première page:

"Des flots et de Palavas-les-Flots le soleil qui vient tout droit jaillit à travers les lames de la persienne; c'est bon, de pouvoir laisser la fenêtre ouverte toute la nuit, à ce commencement de novembre. Les bouteilles et les coupes sur la table et le guéridon, la bouteille encore bouchée, dans le seau à glace; ce désordre. Et la porte ouverte qui tous ces derniers jours étaient verrouillée. Elles dorment encore. Tant mieux. J'aime me sentir seul à cette heure la plus fraîche et la plus solitaire, la plus, de toutes, lucide. Elle réduit à leurs justes proportions toutes ces histoires de... Bon, de se retrouver soi-même, l'esprit net et tranquille, désabusé, après la confusion et le délire."

Le narrateur observe ses deux amantes dormir et fomentent déjà leur excursion dans Montpellier, il est là, dans un hôtel d'hiver du lido languedocien, devant elles; et rêve.


Source: Thau Infos, "à bord du Ville de Mèze", Hervé le Blanche

https://thau-infos.fr/index.php/patrimoine/histoire/histoire-de-meze/45255-a-bord-du-ville-de-meze-2





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