samedi 22 septembre 2018

Nouveau venu qui cherches Parme en Parme

Tout le monde se souvient de Joachim du Bellay, traversant les Alpes pour enfin se rendre dans la ville de son âme, Rome, celle dont il a tant rêvé, lui qui cherche Rome en Rome, toujours en vain. Car, en effet, rien de Rome en Rome il n'aperçoit ; ces vieux palais; et ces vieux arcs qu'il voit, ces vieux murs, il doit l'admettre bien dépité, c'est ce que Rome on nomme. Il est victime d'un syndrome qui pourrait porter son nom. C'est comme aller à Manhattan aujourd'hui, dans l'espoir de rencontrer cette ville que l'on croit connaître tant elle a été détruite au cinéma.
Une autre ville provoque en nous, visiteurs pleins d'espoirs, ce même trouble: Parme. Et bien malheureux l'un de ces happy few qui a lu Stendhal et qui confond La Chartreuse avec le Guide du Routard. Ah, nouveau venu qui cherches Parme en Parme, etc., etc.
Proust s'est lui aussi mis à rêver de la ville. C'est ce que font les rêveurs, ils se contentent d'imaginer, et ne vont pas vérifier l'objet de leurs fantasmes, pas même parce qu'ils ont peur d'être déçus, mais parce que ça ne leur viendrait pas à l'esprit de se déplacer. Les rêveurs qui font l'effort du trajet pour en avoir le cœur net, comme du Bellay, ceux-là sont souvent victimes de leur propre imagination...
Quelque part dans La Recherche du Temps perdu, on lit: "Le nom de Parme, une des villes où je désirais le plus aller, depuis que j'avais lu la Chartreuse, m'apparaissant compact, lisse, mauve; si on me parlait d'une maison quelconque de Parme dans laquelle je serais reçu, on me causait le plaisir de penser que j'habiterais une demeure lisse, compacte, mauve et douce, qui n'avait de rapport avec les demeures d'aucune ville d'Italie, puisque je l'imaginais seulement à l'aide de cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout ce que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du reflet des violettes."

Revenant moi-même de Florence, j'ai voulu m'arrêter à Parme, comme ça, pour voir. Tout de même, Stendhal en parle, Proust aussi, le choix était vite fait. Il y aura bien, me disais-je, une chartreuse dans le coin à visiter. Alors des chartreuses, oui, en Italie, il y en a toujours une ou deux, mais aucune en ville, et nul ne sait de quelle chartreuse l'auteur s'est inspiré. Bref, la Parme de Stendhal, il faut la rêver, dans les ruines du Palazzo della Pilotta, dans les rues ocres et le reste. Soit. Mais alors pourquoi Parme? De son propre aveu, la ville est d'ailleurs assez "plate". C'est le moins que l'on puisse dire un dimanche d'août, caniculaire et désert. Une ville plate, peut-être. Parme, c'était plus simple, politiquement, une ville calme, Stendhal n'avait pas à se soucier du contexte politique et d'autres complots du duché qu'il suggérait. Pas très excitant comme raison! Parme, ce n'est pas Florence, Milan, ni même Ferrare. Et c'est mieux comme ça. Non, c'est Parme! Ville plate? Lisse, comme une mer sans vent. Où ne circule aucun air, effectivement. C'est simplement un dimanche d'août où l'on a, brusquement, l'impression qu'une ville nous accorde enfin le temps de rêver, l'âme saisie par le marbre rose du Baptistère. Parme, c'est une femme endormie, on marche sur la pointe des pieds, on se surprend à chuchoter, et c'est déjà trop. Au loin, on entend les prémices d'un orage comme les premiers coups de canon d'une bataille.

Et alors, on comprend, dans cet engourdissement, pourquoi Parme...

Lecture essentielle: La Chartreuse de Parme, Stendhal, 1839

Photo de la Piazza del Duomo, Parme:



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