dimanche 7 juillet 2024

Septentrion adieu


"Tous les matins du monde sont sans retour. Et les amis aussi." Pascal Quignard, Petits Traités


 Dernière nuit à Melun, juillet 2024


Quatre années. Le temps s'y est égoutté, charriant ma patience bien des fois. Les souvenirs, malgré tout, se sont accumulés, plus qu'en mille ans, comme disait Baudelaire.

Les vicissitudes des algorithmes et voilà que l'on découvre une ville que l'on n'aurait pas même su situer sur une carte avant le résultat des mutations. Et on se répète parfois, dans les moments de désarroi: quelle affliction que les affectations.

Quatre ans plus tôt, donc, j'échouais là, passablement affecté, après la réussite de mes concours. Le premier soir, dans ce nouveau monde, j'avais mangé dans ce même restaurant où j'écris aujourd'hui, en ayant pris soin d'importuner quelques passants pour leur demander si la vie était commode par ici.

Je remarquais plus tard que nous étions bien nombreux, enseignants fraîchement émoulus, à être envoyés dans les quartiers Nord de Melun, collèges égarés dans les grands ensembles que l'architecte Louis Arretche a fait naître, une fois sa reconstruction de Saint-Malo terminée: Mézereaux, Montaigu et pour mon cas Schuman. Et nous étions souvent réunis, une tablée différente pour chaque établissement, place Jacques Amyot, dont la statue se dresse devant la Mairie, que je contournais quotidiennement avec une certaine révérence.

Né en octobre 1513 dans cette ville entre bois et fleuve, celui qui fut évêque d'Auxerre, fut un traducteur de Plutarque, maître de la Librairie Royale qu'il fera transférée à Fontainebleau, et l'un des précepteurs du misérable Charles IX, roi qui marquera l'éternité de sa Saint-Barthélemy, un 24 août 1573, entre deux chasses royales dans les galeries du Louvre, jour qui aura teint du sang des protestants l'eau de la Seine, que j'aurais si souvent longée en amont, les soirs d'été, en y portant le poids de l'ennui. Je faisais le tour de l'île Saint-Etienne, parmi les peupliers entre lesquels ce petit chien que nous avions adopté, Pixel, se plaisait à courir, mourait très souvent et revenait à la vie ensuite, avec beaucoup de panache, pauvre petite créature.



Je revois l'avenue qui descend jusqu'aux rives, je passe devant les vestiges des remparts de Philipe Auguste, quelques pierres fondues dans le béton, j'aperçois les tours de la Collégiale où le jeune Abélard obtient le poste d'écolâtre en 1101, avant d'enseigner à Corbeil: sept années au terme desquelles il ressort épuisé et profondément mélancolique. La région et l'enseignement ne feraient-il pas bon ménage?



Enfin, j'aperçois les étourneaux piailler, face à cette admirable villa palladienne, non loin de l'Astrolabe, des perruches et parfois le triangle d'oies courant après le Sud. Comme moi.

Je tourne alors autour de la prison qui se déploie à la pointe de l'île comme une figure de proue et je reviens sur mes pas.



Quelques matins, une odeur de café grillé se répand dans l'air; à la Brûlerie, les cours terminés, j'ai fréquemment lu, assis en terrasse, un livre acheté à l'Escalier, en écoutant les mécaniques embraser les grains.

Je revois les aurores illuminer le ciel à travers les fenêtres du Tripodes, HLM brutaliste conçu par Albert Hervé dans les années 1970, que je contemplais de la salle 115 où j'ai moi-même enseigné, dans ce collège que j'avais demandé en pis-aller pour le doux nom qui lui avait été donné et qui me rappelle l'enfance.


J'y ai pris mon mal en patience, dans ce Grand Nord, si loin de mes étangs narbonnais, si loin de ma plaine où des êtres qui m'aiment m'attendaient, si loin de ma ville natale où les crassiers m'évoquent quelque Vésuve. Et j'ai cru que l'attente ne finirait pas. Mais tout finit, et l'on part malgré tout avec son poids de souvenirs en baluchon.

On a sur le bout des lèvres le mot adieu. Que l'on n'ose pas prononcer. Et le cœur bat comme lors des grands départs.

Dans ce septentrion que l'on quitte, on sait pourtant que l'on a été à bonne école.


Aux professeurs de la place Jacques Amyot, plus particulièrement ceux du collège Chopin


Valéry Larbaud, le Languedoc à l'âme.

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